La danse du loup
d’observer une stricte neutralité dans le conflit qui nous oppose à iceux, à ce que j’ai appris », confirma-t-il. Je relevai incontinent :
« Verriez-vous en ce seigneur un homme lige, messire de Melun ? Ne combattre ni d’un côté ni de l’autre pour éviter d’être occis ou de bailler rançon ! Alors que nous avons tant besoin de compter de preux chevaliers pour desboter les Godons ? Pour ma part, j’y vois plutôt récréance et j’émets bien des doutes sur les conditions réelles de sa reddition.
— Auriez-vous quelque animosité personnelle envers notre proche voisin ?
— Oui, messire. Un certain jour, l’an passé, alors que je lui posais une question relative à la science héraldique, il m’a proprement et insolemment éconduit après avoir repoussé ma requête par des paroles blessantes. De ma vie, ne l’oublierai !
— Pour une simple question sur la science des blasons ? C’est étrange. Quelle question lui avez-vous donc posée pour susciter son ire ?
— Je lui demandais s’il connaissait une famille aux armes d’argent et de sable écartelé en sautoir, le chef et la pointe partis . »
En m’entendant décrire les armes présumées appartenir à Isabeau de Guirande, ma douce chimère, le seigneur de Melun se figea, puis me dit avec une étrange et inquiétante douceur, son œil de rapace soudain fuyant :
« Messire Brachet, vous êtes fendant et naïf. Sur ces armes, sur la famille à laquelle elles appartiennent, je ne sais point et le regrette. En revanche, votre bravoure et votre impétuosité me réjouissent car elles servent notre cause. Je puis donc vous avouer que j’émets les mêmes doutes que vous sur la fidélité du seigneur de Castelnaud de Beynac.
« Que dire de plus ce matin eu égard aux tristes événements que nous vivons depuis cette nuit. La bastide est à feu et à sang. Je ne puis m’empêcher de les rapprocher des visites fréquentes que le cousin du baron de Beynac rend à notre bastide royale. De mauvaises langues ont laissé courir le bruit qu’il serait assidu des charmes d’une folieuse, une fille de savetier, boiteuse de surcroît, une dénommée Blanche. Pour forniquer avec icelle et assouvir son fort appétit charnel.
« De là à penser qu’il aurait profité de ces occasions pour ourdir un complot et financer quelque trahison au profit des Anglais, il n’y a qu’un pas à franchir. Je ne puis honnêtement m’y résoudre encore ce jour d’hui, faute de preuves formelles. Faites toutefois part de mes soupçons au baron. Nous devrons dorénavant serrer de près notre voisin et surveiller du mieux possible ses moindres faits et gestes. »
Stupéfait à l’annonce de cette surprenante information, j’en restai coi. Les soupçons que j’avais autrefois portés sur lui lors du meurtre du chevalier de Sainte-Croix reprenaient une étrange vigueur. N’est-il pas plus impliqué que je l’avais imaginé alors ? Au point de tenter de me mettre la corde autour du col sans avoir su que le juge-procureur de Sarlat m’avait innocenté.
L’idée me plaisait follement. Alors, s’il avait trempé dans la trahison en achetant les traîtres qui avaient subrepticement ouvert les portes de la bastide royale, cette nuit ! Quel heur !
Je sentis que le chevalier Thibaut de Melun commençait à impatienter. Il souhaitait visiblement mettre fin à l’entretien.
Il nous précisa qu’il avait envoyé, dès les premières lueurs de l’incendie, un pigeon voyageur au baron de Beynac pour le mettre en alerte et qu’il comptait sur nous pour l’avertir de sa détresse.
D’après ses guetteurs, les Anglais étaient partout. Ils s’étaient tondus maîtres de la bastide royale. Seuls, la citadelle de Campréal et le château de Vieille-Domme qui n’en était séparé que par un simple fossé, demeuraient au roi de France et aux seigneurs de Melun. Il pensait être solidement fortifié et semblait davantage redouter un long siège qu’une prise d’assaut.
J’allais m’enquérir de la façon dont nous pourrions rejoindre les lignes amies, lorsqu’il nous conduisit lui-même à une petite porte qui menait du donjon à un souterrain. Il nous recommanda moult précautions, sans se faire trop de souci, m’avoua-t-il, en dardant sur moi son regard de rapace.
Équipés de quatre torches, deux allumées et deux en réserve, la porte d’accès au souterrain claqua dans notre dos. J’entendis le cliquetis de la
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