La danse du loup
Foulques de Montfort devait s’y entretenir avec un cardinal de l’entourage du pape, avais-je ouï suite à quelque indiscrétion.
Autant dire que nous ne serions pas de retour avant une année entière ! Si tout se passait bien. Et il s’était déjà écoulé une année depuis la défaite de Bergerac, la bien triste bataille d’Auberoche et la prise du Mont-de-Domme, sans que je parvinsse à situer où résidait la famille de Guirande.
Nous avions appris qu’une immense armée commandée par le roi Philippe en personne avait été écrasée à Crécy par une modeste armée aux ordres du roi d’Angleterre et de son jeune fils Édouard de Woodstock, le prince de Galles, à six jours des calendes d’août, l’été dernier, le 26 juillet 1346. Peu de temps après qu’un capitaine du comte de Derby eût investi la bastide royale du Mont-de-Domme. Par trahison.
Le roi de France, blessé, avait pu s’enfuir et trouver refuge dans un château voisin. Jean de Luxembourg, roi de Bohème, bien qu’aveugle, avait exigé des chevaliers de sa suite qu’ils l’arment pour participer au combat.
Il y avait laissé la vie, ainsi que plusieurs milliers d’autres chevaliers, écuyers et arbalétriers génois. Ceux qui n’avaient pas été occis par les vagues successives de dizaines de milliers de flèches tirées par les archers gallois (elles pleuvaient, paraît-il, sur eux “comme neige par temps d’hiver”) étaient désarçonnés par les coutiliers godons qui tranchaient les membres des chevaux ou les jarrets des combattants à l’aide de leurs terribles guisarmes. Avant de les achever à terre, au défaut de la cuirasse. L’armée anglaise n’entendait pas s’encombrer de prisonniers.
Dès que le baron avait eu connaissance de cet immense désastre, il avait consigné l’ensemble de la garnison dans la forteresse pour parer au risque d’un siège anglais. J’avais dû me résigner, bon gré mal gré, à suspendre mes recherches sur l’amour de mon cœur, jusqu’à ce jour d’automne où nous avions quitté notre beau pays par une triste et pluvieuse journée de l’an de grâce 1346.
Nous avions chevauché pendant près de trois semaines avant d’atteindre une autre bastide royale, celle d’Aigues-Mortes, dont les rois Philippe le Hardi et Philippe le Bel avaient achevé les fortifications au siècle précédent.
Feu notre roi saint Louis, leur grand-père et père, avait assaini une partie des marécages pour y construire un port à vocation militaire et marchande où les croisés avaient appareillé pour les Lieux saints.
Nous avions franchi la rivière du Lot, moyennant péage, par le pont Valentré, à Cahors, avant de descendre sur Montpellier en passant par Toulouse, la majestueuse capitale des pays d’oc, et l’impressionnante citadelle de Carcassonne.
Nous n’avions séjourné dans la bastide royale d’Aigues-Mortes que quelques jours, le temps de changer par l’entremise d’un marchand-banquier, une somme importante d’écus d’or en ducats et florins et de négocier notre embarquement sur cette nef génoise de sept cents tonneaux et de quarante hommes d’équipage.
Sans compter le queux, le maître-charpentier, ses compains, et trois arbalétriers génois chargés de notre défense. Si d’aventure les pirates barbaresques s’avisaient de s’en prendre à notre navire pour s’emparer au moindre prix de sa riche cargaison.
Arnaud s’était vivement réjoui de ce voyage et rêvait déjà de nouvelles conquêtes qui n’avaient rien de militaire. Foulques, qui était à l’origine de notre expédition, était d’humeur taciturne et secrète, comme à l’accoutumée. C’était son caractère.
Durant tout le voyage sur terre, il était resté coi et n’avait prononcé que les quelques paroles indispensables pour son service. De l’objectif de notre voyage, il n’avait dit mot. Il en parlerait un jour. Peut-être. S’il le jugeait utile.
Le mestre-capitaine, un Génois de type levantin, aux traits burinés et au visage grêlé par la variole, était affublé d’une barbe de patriarche de couleur poivre et sel. Peut-être pour en masquer les stigmates et ne point repousser les filles de vie qui lui donnaient de la joie sur une couche accueillante entre deux traversées. C’était un homme sec, assez grand, d’humeur peu causante (il devait plaire à Foulques de Montfort). Il ordonnait les manœuvres d’une voix caverneuse.
Le mestre
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