La danse du loup
même, le baron de Beynac ! Il n’est point seigneur plus pécunieux que lui. Peut-être aurait-il pu modérer quelque peu ses exigences !
— Vous savez bien que ce ne sont pas les gentilshommes ou les bourgeois les plus riches qui sont les plus généreux. Sinon ils ne seraient point aussi pécunieux.
« Cependant, vous n’êtes point sans savoir que le baron de Beynac distribue aussi de généreuses oboles à ses sujets lorsqu’ils sont en grande misère, suite à mauvaise récolte ou en raison de quelque epydemie.
« En outre, le baron de Beynac entend peut-être quelques projets dont nous ignorons tout… glissa-t-il, en me jetant un coup d’œil dont je ne compris pas le sens sur l’instant.
— Pour sûr, nous les ignorons tous deux, messire Bertrand et moi, mais vo… »
Le chevalier ne termina pas sa phrase. Juste à temps. Au moment où il allait exprimer des doutes sur l’ignorance du moine. Le père d’Aigrefeuille feignit de ne pas avoir saisi l’allusion. Il glissa deux doigts dans sa boîte à messages, se saisit de l’autre parchemin, et nous donna lecture de plusieurs nouvelles plus stupéfiantes les unes que les autres.
Tout d’abord, et ce n’était pas la moindre, Joseph avait confié son trésor à la garde des chevaliers de l’Ordre de l’Hôpital de Saint-Jean de Jérusalem.
À charge pour eux de le fructifier puis d’en faire remise, à sa mort, au comte Philippe de Montfort ou à ses héritiers. Il y était conservé et administré par le trésorier de la commanderie de Tyr, depuis l’an de grâce 1270, à seize jours des calendes de septembre, c’est-à-dire depuis le 16 août.
Le parchemin ordonnait au trésorier de la commanderie hospitalière sise à Châtel-Rouge, sur l’île de Chypre, de remettre aux porteurs des documents trois lettres, dites à changer.
L’une au bénéfice de l’Aumônerie des pauvres en la cour pontificale qui résidait en Avignon ; l’autre au bénéfice du baron Fulbert Pons de Beynac, sire de Commarque, et la troisième au profit de l’aîné de cette branche de la famille des Montfort s’il se présentait et soumettait le prime acte original signé par Joseph Al-Hâkim et le comte de Montfort.
Le chevalier Foulques détenait cet acte. Le porteur devrait, outre cet acte, soumettre deux autres minutes. La présentation des actes devait être faite avant le jour de l’Assomption de l’an 1347. Faute de quoi les fonds demeureraient la propriété définitive de l’Ordre hospitalier de Saint-Jean de Jérusalem.
Après un examen attentif et la vérification de l’authenticité des sceaux et des seings, tel qu’il était stipulé dans l’un d’entre eux, la minuta apostolica , établie par la chancellerie pontificale, le trésorier avait ordre de bailler les fonds.
La nouvelle la plus ahurissante, la plus incroyable, le père d’Aigrefeuille nous la livra lorsqu’il annonça les noms et qualités des signataires : le chevalier Gilles de Sainte-Croix, commandeur de l’Ordre de l’Hôpital de Saint-Jean de Jérusalem pour l’Aquitaine et la Saintonge, monseigneur Arnaud de Royard, évêque de Sarlat, et monseigneur Guillaume d’Aigrefeuille, frère du père Louis-Jean et évêque représentant le cardinal, grand pénitencier à la cour pontificale, en mission en Aquitaine. Le tout était rédigé et scellé en l’an de grâce 1345, à quatre jours des nones de mars, soit le 3 mars.
L’affaire avait été chaude, puis croustillante. Au fond, elle ne m’avait guère concerné jusqu’alors. À l’annonce de ces noms, je devins blanc comme un linge.
Je revivais, comme un mourant, paraît-il, au moment où il croit passer de vie à trépas, une succession d’images plus rapides qu’un coursier au galop. Ces souvenirs m’avaient profondément meurtri. Ils se bousculèrent dans ma tête. Ils avaient bien failli me coûter la vie.
Mes visites au sire de Castelnaud de Beynac et au forgeron des Mirandes. Notre repas en la taverne du village. Mon arrestation par le prévôt de Sarlat. Ma mise en sûreté dans l’antichambre de la librairie, la planche du salut, la visite de Marguerite. La décollace du forgeron, considérée comme accidentelle. La tentative du sire de Castelnaud de faire, à son tour, mainmise sur ma personne. La proclamation de mon innocence lors de l’office de l’Ascension. Ma conversation avec le seigneur Thibaut de Melun dans la citadelle de Camp’réal après la chute
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