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La Dernière Bagnarde

La Dernière Bagnarde

Titel: La Dernière Bagnarde Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Bernadette Pecassou-Camebrac
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Elle
rega r dait
au loin comme si, traversant la coque du navire, son r e gard
émerveillé abordait déjà aux rives
colorées des par a dis
à venir.
    Tout
en continuant à se tortiller pour se retenir, Marie
l'observait et ne comprenait pas comment en ce moment si douloureux
et si dur de leur vie, au moment où on les rejetait toutes
comme la lie de la soci é té,
Louise parvenait à dire des choses aussi heureuses et à
y croire. Elle, elle avait appris très tôt à se
méfier comme la peste des illusions de bonheur.
    — Et
au bout du compte, tu sais quoi ? reprit Louise d'une voix grave.
    Ceux
qui nous envoient là-bas pour qu'on y crève, eh bien,
ils nous envieront ! Tu verras. Ils nous envieront.
    Elle
avait prononcé ces derniers mots avec une telle convi c tion
que Marie en fut ébranlée. Sa compagne de galère
avait une force i n croyable.
Non seulement elle n'avait pas peur de l'avenir, mais elle le
transformait, elle en faisait sa chose. M a rie
acquiesça en oubliant alors à cette seconde même
de se concentrer pour se retenir et, juste avant que ne coule le long
de ses jambes ce liquide chaud et terriblement nauséabond,
elle fit à Louise un sourire béat, ne réalisant
le désastre qui venait de se pr o duire
qu'à la grimace de celle-ci qui en disait long. Sentant cette
chose collée à ses jambes et cette atroce odeur, elle
se figea, incapable de faire un geste. Comment cela avait-il pu
arr i ver
? Voyant sa mine consternée, Louise éclata d'un rire
tonitruant et, avec un sens inné des situations, elle s'empara
sans hésitation du sac de toile, en défit pre s tement
le lien que Marie venait de resserrer et, riant toujours, à
l'aide de la délicate chemisette en voile de coton dont la
beauté n'était plus qu'un lointain souvenir, elle
e s suya
les jambes de Marie.
    Celle-ci
ne pensait plus, ne parlait plus. Tout se bousculait dans sa tête.
Elle se laissait nettoyer par Louise comme un petit enfant par sa
mère, elle qui n'avait jamais connu la sienne et qui ne se
souvenait même pas d'avoir été enfant un jour.
Cette s i tuation
était affreuse. Elle se mit à hoqueter, un peu, puis de
plus en plus fort, et les sanglots trop longtemps retenus éclat è rent,
redoublant les rires de Louise.
    — Tu
pleures ? fit celle-ci. Et tu crois que ça va t'aider ? Qu'on
va te plaindre ?
    Marie
essuya ses yeux d'un revers de manche.
    — Moi,
si je ris, continua Louise, gravement cette fois, si je parle tout le
temps, c'est parce que je veux rester vivante. Il ne faut pas
ple u rer,
ni avoir peur. Tu comprends ?
    Marie
comprenait.
    — Garde
tes forces, insista Louise sur le même ton. Tu vas en avoir
besoin.
    La
pression des eaux de la haute mer faisait craquer les bois du n a vire
de l'arrière jusqu'à la proue et, sur cet océan
qui les emportait vers un destin tragique, les deux jeunes femmes
mesurèrent un instant la pr o fondeur
des gouffres sous leurs pieds.

2
    Une
semaine que le navire avait pris la mer et le commandant n'avait
toujours pas donné aux sœurs chargées
d'accompagner les pr i sonnières
au bagne l'autorisation de faire le grand nettoyage de la cage. Pour
sœur Agnès, la situation n'était plus tenable. La
cage en était arrivée à un tel point d'infection
que les trois derniers jours, après la sortie régleme n taire
d'une heure quotidienne sur le pont, on avait frisé l'émeute
au m o ment
où il
avait fallu redescendre. Une dizaine de matelots armés avaient
dû interv e nir.
Alors cette fois, sœur Agnès était déterminée
: on devait nettoyer cette geôle imm é diatement.
Comment pouvait-elle être la seule à se rendre
rée l lement
compte de la situation ? Bien sûr, à part elle, les
matelots et gendarmes de service, pe r sonne
parmi les supérieurs ne descendait dans la cale, personne ne
voyait son état de délabrement. Mais il n'était
tout de même pas difficile de co m prendre
qu'un endroit pareil sous les ponts, avec une petite trappe pour
seule aération que l'on ouvrait très insuffisa m ment,
ça n'était plus une simple prison. C'était un
tombeau.
    — Il
va y avoir des mortes, les femmes sont au plus mal, s e rinait-elle
à la mère supérieure. |
    — Allons,
allons, avait répondu celle-ci, vous dramatisez tout.
    — Mais
pas du tout ! insistait sœur Agnès. II faut absolument
ne t toyer
et laisser la trappe ouverte, sinon les femmes vont y passer !
    — Pour
la trappe, je vous répète que le commandant ne veut
pas. Ça troublerait les hommes

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