La Dernière Bagnarde
surtout pas !
Romain
était à bout. Il éructait, il ne savait plus
quoi dire, cette femme était convaincue qu'elle pouvait
s'échapper. Quelle folie !
— Il
n'y a que la jungle... partout, d'où que vous vous tourniez,
et là-bas il y a un camp où les hommes me u rent...
et rien d'autre, je vous le jure, Marie, croyez-moi, je dis la
vérité.
Il
l'avait appelée par son prénom et ses paroles sonnaient
juste. Cette fois, les certitudes de M a rie
furent ébranlées. Son seul espoir de s'enfuir était
réduit en cendres. Elle comprit que le bagne était partout et qu'il n'y
avait plus rien d'autre autour d'elle que
son horrible et te n taculaire
présence. Et elle sut qu'elle ne pourrait jamais quitter cet
e n fer.
À sa grande st u peur,
Romain la vit blêmir et s'asseoir sur le talus pour ne plus en
bouger.
— Non
! Non
! Ne vous asseyez pas, supplia-t-il, toujours allongé sur le
sol. Il faut aller chercher quelqu'un ! Pitié, vite ! J'ai
mal... je ne pourrai pas tenir. Je vais mourir, je vous en prie !! ! je
ne peux pas bouger, si je bouge même à peine, je vais
mourir...
Mais
Marie ne répondait plus. Son regard était déjà
loin.
— Vous
m'entendez ? Vous comprenez ce que je dis
?
Il
insista, en vain. Et cette fois, il paniqua. Il comprit que Marie
avait vécu des chocs successifs si violents que son ps y chisme
en était atteint de façon très profonde. Elle
fuyait le réel. Son cerveau et son corps étaient si
affaiblis que plus rien en elle ne pouvait réagir. Marie était
anéantie. Et il comprit qu'il allait mourir là, avec à
côté de lui cette femme qui po u vait
le sauver mais qui ne bougerait pas. Il cria, il essaya encore de la
secouer en l'invectivant, en lui jetant des i n sultes.
En vain.
Tout
défila alors dans sa tête. Ce qu'il voulait accomplir,
ses rêves, des paysages, et ceux qu'il aimait, tout se
bousculait dans un chaos inimaginable. Et il pleura comme un enfant
perdu qu'on aurait trahi.
— C'est
pas possible... je ne peux pas mourir... pas après tout ce que
j'ai appris, tout ce que je dois faire... c'est pas po s sible...
pas là... pas comme ça...
Marie
l'entendait comme à travers un songe. De ce qu'il disait elle ne percevait qu'un son étouffé et les
mots n'avaient pas de sens. Il y avait
juste une voix qui pariait et c'était une musique enveloppante
dans laquelle elle se laissait bercer. Elle entendait bien qu'il
appelait au secours mais elle ne faisait aucun lien avec elle-même.
Ça ne la re n dait
ni triste ni désespérée. Elle était
seulement absente. Elle avait juste envie de ne plus être là,
de ne plus vivre. Elle ne quitterait rien d'extraordinaire puisqu'on
lui avait tout pris, jusqu'à l'espoir. Des so u venirs
passaient dans sa tête engourdie comme seraient passés
des nuages dans un ciel léger. Des souv e nirs
de rien, des bouts de choses de sa vie. Les coteaux autour d'Oloron,
l'aboiement du chien de la ferme, la douceur des agneaux, le vert cru
de l'herbe au printemps, le goût des châtaignes, les
bateaux le long des quais de Bordeaux, la foule dans la rue
Sainte-Catherine, la chemise de soie dans la po u belle,
la voix du maître d'hôtel qui râlait tout le temps,
le carré de ciel depuis sa chambre, et des visages, au hasard.
Le temps passa, les heures
filèrent les unes après les autres. R o main
avait cessé d'appeler depuis longtemps, il ne bougeait plus. Le
froid glacial était tombé en même temps que la
profo n deur
de la nuit. Il piquait si fort qu'il sortît Marie
de sa torpeur. Elle retrouva ses esprits et regarda Romain. Le
médecin semblait dormir. Elle s'agenouilla près de lui
et colla son oreille contre
son cœur. Il ne battait plus. Elle hésita et posa à
nouveau son oreille, en
appuyant bien. Cette fois elle crut entendre un batt e ment,
mais très faible et irrégulier. Elle devait faire
quelque chose, l'aider. Mais ça voulait dire qui lui fallait
retou r ner
à Saint-Laurent. Et ça, c'était impossible pour
elle. Comment arriver à l'hô pital
sans être vue ? Charlie et les autres étaient partout.
Ils
la reprendraient et la remettraient dans la case derrière le
bar. Cette seule idée était au-delà du
su p portable.
À ce quelle avait vécu, elle préférait la
mort. Elle était plongée dans ses pensées,
cherchant une solution et ne la trouvant pas, quand Romain parla à
nouveau.
— J'ai
mal... je ne veux pas mourir... Elle crut qu'il s'était
réveillé, mais il délirait. Elle devait se
décider, elle
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