La dernière nuit de Claude François
s’arrêter dans une station-service. Marie-Thérèse parvient à joindre Jean-Pierre Toucas qui patiente à l’aéroport de Genève.
— On arrive dans une heure.
— Attention, l’aéroport ferme à 22 heures. Vous connaissez les Suisses : avec eux, l’heure c’est l’heure.
— On fait de notre mieux.
De son côté, Sylvie Mathurin appelle un palace genevois où Claude a ses habitudes pour réserver trois chambres. Il y a de la place, mais pas question de l’avouer au chanteur. Elle le connaît par cœur : s’ils doivent passer la nuit à Genève, il la félicitera, mais, pour l’heure, elle a toutes les chances de se faire envoyer bouler sur le thème : « C’est en anticipant les mauvaises nouvelles qu’elles finissent par arriver. » Toujours sa mauvaise foi.
Cette course-poursuite au ralenti a des allures de compte à rebours. Heureusement, à l’approche de Genève, le brouillard commence à se dissiper. La vue se dégage, les maisons bordant la route reprennent forme. Dix kilomètres,
21 h 30. Cinq kilomètres, 21 h 45. Un kilomètre, 21 h 50…
Le chauffeur connaît bien l’aéroport de Genève. Dans le dédale des entrées et sorties, il se dirige avec assurance vers l’enceinte dédiée à l’aviation d’affaires.
Un bimoteur est garé devant le hangar. Un Beechcraft. La porte arrière est ouverte, l’échelle d’accès dépliée. Dans la cabine allumée, Jean-Pierre Toucas fait et refait la check-list. Il a presque abandonné l’idée de décoller ce soir quand les phares d’une voiture inondent le cockpit de lumière : le taxi de Claude est en train d’arriver. À toute vitesse, avec Marie-Thérèse et Sylvie, il range ses bagages Vuitton dans le compartiment spécialement dédié, dans la queue de l’avion, avant de s’installer dans le siège en cuir.
Il est 22 heures quand Jean-Pierre Toucas quitte le parking et emprunte le taxiway . Arrivé au point fixe, en bout de piste, il appelle la tour de contrôle en déclinant l’immatriculation de l’avion.
— Nous sommes prêts à décoller…
— Vous ne pouvez plus, l’aéroport est fermé.
— Je vous ai prévenus que nous serions en retard, je suis avec Claude François.
— Oui, mais il est 22 heures passées…
— … de trois minutes… on ne va pas rester pour trois petites minutes seulement ! Vraiment, il doit être à Paris demain pour une télévision…
Il s’est installé sur le siège du copilote et prend lui-même la parole :
— Bonjour, c’est Claude François. Je vous décharge de toute responsabilité.
Après un bref silence, le contrôleur aérien lui lance :
— Pour cette fois, allez-y !
Tout le reste n’est qu’affaire de procédure : vérification du compas magnétique indiquant l’orientation de la piste, calage du gyrocompas sur le QFU, dernier coup d’œil à la manche à air donnant la force du vent, ultime regard dans la cabine pour vérifier qu’aucune lampe rouge n’est allumée.
Pleins gaz.
Quelques jours plus tard, Jean-Pierre Toucas recevra des autorités suisses un avertissement pour avoir décollé après l’heure autorisée.
Jusqu’à sa mort, il s’interrogera : si Claude avait dormi à Genève, au lieu de rejoindre son appartement du boulevard Exelmans, que se serait-il passé le lendemain, aux environs de 14h30 ?
La star, elle, a juste accueilli l’autorisation de décollage en brandissant le poing tel un footballeur qui vient de marquer un but.
Il s’est tourné vers Marie-Thérèse et Sylvie, compagnes de son incroyable épopée leysinogenevoise.
— Vous voyez… à Cloclo, rien n’est impossible.
Depuis toujours, Claude François craint les voyages en avion. Durant les phases de décollage et d’atterrissage, il est du genre à retenir son souffle et à se cramponner au siège. Jean-Pierre Toucas a tout de suite remarqué son appréhension et, en bon bourlingueur, il lui a soufflé une idée qui l’a d’abord désarçonné :
— Tu devrais apprendre à piloter…
— T’es fou ! lui a-t-il répliqué.
— Commence par t’asseoir à côté de moi…
Claude a tout de suite aimé se retrouver dans le cockpit. Il a mitraillé Jean-Pierre de questions, histoire de ne plus s’en poser, et puis, un jour, comme un gamin, il lui a lancé :
— Je peux tenir les commandes ?
C’était une belle journée sans turbulences. Il a tiré le manche vers lui et l’avion s’est cabré pour monter dans les airs, il l’a
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