La dernière nuit de Claude François
enregistrements, les émissions de télévision. Quelle place a-t-elle au milieu de ce tourbillon, de son entourage, omniprésent, et de ses fans, envahissantes, toujours à ses trousses, jour et nuit ? Elle les déteste. Elle voudrait que Claude leur interdise la cage d’escalier du boulevard Exelmans. Le bras de fer est perdu d’avance : elle n’a pas compris que leur présence est pour lui la preuve la plus tangible de son succès, le miroir de sa réussite, bien au-delà des applaudissements et des chiffres de vente. Les fans se vengeront de ses réflexions blessantes et de son attitude hautaine d’une manière pour le moins radicale : elles glisseront sous sa porte la liste des maîtresses de Cloclo pendant ses shootings à l’étranger…
C’en est trop, leurs chemins vont diverger, sans espoir de retour. Claude décide alors de regagner l’amour d’Isabelle. Conquérant de l’impossible, il ne manque pas de panache : sans la prévenir, il débarque à Théoule avec un gros camion de déménagement rempli de ses affaires.
— Je viens vivre avec toi et les enfants, lui annonce-t-il.
Avec elle, il a toujours été maître du jeu mais, cette fois, il n’a pas les bonnes cartes en main.
Il aurait dû se rappeler la chanson qu’il avait interprétée après sa rupture avec Janet :
Même si tu revenais
Je crois bien que rien n’y ferait
Notre amour est mort à jamais…
À Leysin, il est 17 heures et Claude François, qui n’a pas déjeuné, insiste pour grignoter un morceau.
— Oui, mais il faut qu’on se dépêche, temporise Marie-Thérèse, son attachée de presse qui sait que, de toute façon, il n’en fera qu’à sa tête.
Un avion privé les attend à Genève pour rejoindre la capitale française. Demain, il a une
autre émission de télévision : il doit participer, dans l’après-midi, aux répétitions des « Rendez-vous du dimanche », de son ami Michel Drucker.
Le feu de bois du restaurant est éteint, on ne l’a pas encore rallumé pour le service du soir. Qu’importe, on improvise un tartare-salade pour l’équipe. Claude badine avec Madeleine, la serveuse, et l’heure tourne. Au bout de la table, Marie-Thérèse s’impatiente :
— Il faut qu’on y aille, on va être en retard. Jean-Pierre nous attend avec l’avion, à 19 heures.
Claude lui répond d’un geste qui veut tout dire : il a l’habitude d’attendre.
18 heures. La nuit est tombée. Cette fois, il faut vraiment y aller.
— Dans deux heures, on y sera, tempère Claude.
Quelques derniers autographes à des fans qui attendent bravement dans le froid, et Claude se rue dans un taxi. La nuit est tombée et la descente vers Montreux est plus complexe que prévu : c’est l’heure où chacun rentre chez soi. Impossible de doubler dans les serpentins. Marie-Thérèse ronge son frein et Claude la charrie.
À vol d’oiseau, le chemin le plus court pour rallier Genève est de passer par la rive française du lac Léman, mais le chauffeur préfère opter pour la rive suisse : il sait que la route est bien meilleure, il pourra même s’offrir quelques
pointes de vitesse. Seulement voilà, la brume est de la partie. Une mer de brouillard recouvre le lac et enveloppe la nationale. Montreux passé, la voiture s’enfonce dans une véritable purée de pois. Dans la nuit, les phares se réflètent dans la brume, créant un mur de lumière qui aveugle le conducteur.
Plus la voiture avance vers sa destination finale, plus elle doit ralentir. Le chauffage bloqué à fond, elle fait quasiment du surplace. Marie-Thérèse se garde bien de déclarer « Je vous l’avais bien dit » : elle sait que l’artiste n’est pas du genre à reconnaître ses torts. Et il n’est pas d’humeur à plaisanter.
— On ne va quand même pas passer la nuit ici !
Le chauffeur ne l’incite pas à optimisme.
— On peut décoller jusqu’à quelle heure ? ne cesse de demander Claude.
Quand a été lancé au milieu des années 1970 le réseau de la « correspondance publique », ancêtre du Radiocom 2000, lui-même ancêtre des GSM, Claude François s’y est aussitôt abonné. Geek avant l’heure, fondu de technologie, il n’aime rien tant que décrocher le combiné de son Thomson CSF pour passer des coups de fil de sa voiture. Mais le taxi n’est pas équipé de ce qui constitue alors un privilège pour nantis, un signe extérieur de richesse.
Aux abords de Lausanne, décision est prise de
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