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La dernière nuit de Claude François

La dernière nuit de Claude François

Titel: La dernière nuit de Claude François Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Bertrand Tessier
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poussé vers l’avant, l’aéronef s’est mis à piquer du nez. Une réaction immédiate qui lui a donné un sentiment de puissance : l’impression de dominer
les éléments, d’être maître de son destin, là où jusqu’à maintenant il se laissait porter.
    Depuis, il pilote en double commande. C’est un élève doué, un jour il passera son brevet. Ce vendredi soir, la concentration sur les instruments et le plan de vol lui permet d’évacuer le stress des dernières heures. Mais, dans les moments délicats, il ne peut y avoir qu’un seul pilote.
    — Tu poses l’avion ? interroge Toucas.
    — D’accord, acquiesce Claude.
    Quelques minutes plus tard, les roues du Beechcraft touchent le tarmac impeccablement dans l’axe. Pas le moindre à-coup.
    — Tu vas pouvoir te passer de moi…, ironise Toucas.
    Devant le hangar où l’avion s’arrête, quelques fans viennent saluer le chanteur. Grâce à leur propre réseau, elles sont en permanence au fait de ses moindres déplacements. Elles le précèdent chez Camps de Luca, son tailleur, chez Berluti, son bottier, chez Henri le Corre, son chemisier, chez Carita, son coiffeur, au studio de Bernard Estardy où il enregistre jusque tard dans la soirée, voire à La Cloche d’Or ou à La Calavados, les deux restaurants où il aime finir ses nuits. Quand il donne un concert en province, elles font du stop pour le rejoindre. C’est devenu une plaisanterie entre la star et ses collaborateurs :

    — Quand vous ne savez pas où je suis, demandez aux fans !
    Son nouveau chauffeur – depuis une semaine  – , Gérard Minchella, a amené la voiture au pied de la passerelle. Il braque les roues pour que la Mercedes soit prête à repartir.
    — Ne tourne pas le volant à l’arrêt, tu vas bousiller l’assistance de la direction ! lance Claude, qui a l’œil à tout, avant de prendre le volant.
    Gérard Minchella s’asseoit à l’arrière et récupère la « trousse-secrétaire » des mains de Sylvie Mathurin : elle contient les papiers de Claude, son aérosol nasal en cas de rhume, des médicaments d’urgence. Le chanteur a toujours les poches vides pour que ses vêtements ne soient jamais déformés : son obsession de la perfection.
    Direction boulevard Exelmans.

    En fait, ce soir-là, Claude François n’aurait jamais dû rejoindre son appartement parisien.
    Depuis des années, tous les vendredis soir, il prend la direction de Dannemois, un petit village situé près de Milly-la-Forêt, à une
soixantaine de kilomètres au sud de Paris, où il s’est offert à l’automne 1964 la maison de ses rêves : un ancien moulin à grains, dont les parties les plus anciennes remontent au XII e  siècle. Peu à peu, il l’a restauré pour le transformer en « ferme du bonheur ». Il meuble la partie ancienne en Louis XIII et rebaptise la grange « La maison américaine », après l’avoir aménagée de manière plus contemporaine. Dans les combles, il installe une salle de cinéma privée, avec projecteur 35 mm. Le jardin est soigneusement entretenu : la tonte de la pelouse est finie aux ciseaux. Le week-end, Claude aime s’y promener, un arrosoir dans une main, un sécateur dans l’autre, toujours prêt à jouer avec les animaux. Le moulin a en effet des allures d’arche de Noé : on y croise quatre cygnes blancs, un cygne noir, des grues africaines, deux paons, des flamants roses, Ness Ness, le petit singe qui finit les verres, quatre chiens, dont Plouf le cocker, et quatre chats, dont Léon le chat de Birmanie, qui se tient debout sur le volant de sa voiture.
    Dannemois est son havre de paix, c’est le seul endroit où il est vraiment naturel, celui où Cloclo laisse la place à Claude. Mais c’est bien davantage encore : une manière de reconstruire le paradis perdu de son enfance. Faute de retrouver Hassan, le domestique d’Ismaïlia
qui l’a élevé, il fera venir du Caire Tahar, qui refuse de porter autre chose qu’une djellaba, puis Abouzaid, ancien élève de l’école hôtelière du Caire. Avec eux, il parle en arabe comme autrefois : le déraciné s’est retrouvé des racines.
    Le moulin est aussi pour lui l’occasion de regrouper les siens. C’est là qu’il a installé sa mère, Chouffa, la mère abusive dont il abuse. Elle lui concocte ses plats préférés : feuilles de vigne, petits farcis, moussaka, rôti sicilien ou boulettes de poisson. Pour lui, c’est aussi une bonne manière de la mettre à l’abri de

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