La dernière nuit de Claude François
en
tournée, surtout l’été, il n’avait pas le temps d’en profiter. Et puis, au bout de deux jours en mer, il tournait en rond. Il n’était pas fait pour naviguer. Gamin, il ne se lassait pas de regarder les cargos et autres pétroliers remonter le canal de Suez. Adulte, il avait découvert que les plus beaux voyages sont ceux qu’on porte en soi.
Dans la cuisine, Kathalyn et Marie-Thérèse s’affairent.
— Tu veux prendre le petit-déjeuner sur la terrasse ? lui demande sa fiancée depuis l’escalier.
— Bien sûr.
Il s’approche de la balustrade, ramasse quelques feuilles, saisit un sécateur et coupe quelques tiges mortes. Il se dit qu’il va dicter une note pour faire venir son jardinier : l’entretien au quotidien, il se le réserve, mais un nettoyage de printemps s’impose.
Kathalyn et Marie-Thérèse arrivent avec le plateau du petit-déjeuner, servi dans une jolie vaisselle ancienne, chinée un jour entre deux concerts. Il est d’humeur radieuse, il a oublié le stress de la veille, le retard sur la route, la brume, l’électricité coupée à Dannemois. Il s’assoit, avale une gorgée de thé et se sert une cuillerée de caviar.
Ce n’est pas un caprice de star : le caviar, il n’en raffole pas. Il s’en passerait bien, mais son médecin personnel, le Dr Elbaz, a été formel :
il n’y a pas meilleur produit contre le vieillissement, car il s’agit de cellules fraîches. Bien des années plus tard, les fabricants de cosmétiques développeront des gammes de soins anti-âge à base d’œufs d’esturgeon ; mais, pour l’heure, il les déguste à la petite cuiller.
Ne concevant pas de vieillir, Claude s’échine à vivre sainement. Pas d’alcool, excepté un verre de grand cru à table et un whisky avec deux tiers de Coca avant d’entrer en scène ; pas de cigarettes ; et encore moins de drogue. Il fait quinze kilomètres de jogging par semaine et quand il arrive chez lui, il monte à pied, sans se presser, mais d’une seule traite, les neuf étages de son immeuble. Il pratique le yoga pour maîtriser sa respiration. Il se nourrit de légumes cultivés dans le potager de Dannemois et de produits achetés à La Vie Claire, la première chaîne bio apparue en France. Il adore les œufs mais, après avoir lu que les blancs étaient nocifs, il ne mangera plus que les jaunes, jusqu’à ce qu’un article lui fasse prendre l’habitude contraire. En quête de l’éternelle jeunesse, il est toujours prêt à tester les nouvelles cures de jouvence : il absorbe quotidiennement des pilules de Gerovital, une sorte d’ancêtre de DHEA, découvert en Roumanie. Même ses fiancées, qui ont la vingtaine, sont sommées d’en prendre ! Il n’hésite pas non plus à s’enduire la peau de crèmes, d’onguents
et de masques. C’est un « métrosexuel » avant l’heure : il prend un soin extrême de son apparence, n’hésitant pas à sortir maquillé ou à s’épiler – ce qui, dans une société alors très codifiée, lui vaudra aux yeux des machos une réputation d’homosexuel.
En fait, ce qu’il redoute le plus, c’est la déchéance et, plus encore, la maladie. S’il s’étourdit dans le travail, c’est pour ne pas y penser. Terrorisé par le cancer, il ne s’est jamais remis d’avoir vu Olivier Despax, leader des Gamblers, le groupe de ses débuts, mourir en six mois, à trente-cinq ans, d’une leucémie. Son obsession des microbes et autres parasites le ferait passer pour un émule d’Howard Hughes, roi des hypocondriaques devant l’Éternel : il fait installer des lampes à ozone dans sa loge pour dépolluer l’air et n’hésite pas à sortir un aérosol antiseptique lorsqu’une personne enrhumée a l’outrecuidance d’entrer dans son bureau telle une bombe bactériologique.
Il y a quelques jours, il a fêté son trente-neuvième anniversaire. Enfin, fêter est un bien grand mot. Pour lui, c’était comme un jour de deuil. Une sorte d’adieu à la trentaine.
Il a demandé à ses deux directeurs artistiques, Jean-Pierre Bourtayre et Guy Floriant :
— Comment vous me voyez à soixante ans ? Toujours en train de danser avec les Clodettes ?
Ils ont eu la présence d’esprit de répondre :
— Non. On te voit comme Frank Sinatra.
The Voice …
Celui que, gamin, au Sporting de Monaco, on l’avait empêché d’approcher.
Il y a pire référence.
Les retards de Claude François sont légendaires : il n’est jamais à
Weitere Kostenlose Bücher