La dernière nuit de Claude François

sa passion du jeu. À Monaco, après la mort d’Aimé, elle a joué son appartement de la rue des Moulins et l’a perdu, d’où son arrivée précipitée dans la capitale. Depuis, elle a juré de renoncer à ses démons, mais n’arrive pas à s’y tenir. Tous les efforts de son fils n’y feront rien : elle profite de la première voiture en partance pour la capitale pour aller jouer au rami au club Albarrant ou à la roulette au casino d’Enghien. Quand elle perd, ses créanciers vont directement réclamer l’argent à son fils. Un jour, le patron d’un casino refusera même de régler le cachet de Claude.
    — Votre mère est passée avant vous ! se justifiera-t-il.
    Un autre jour, elle misera le manteau de fourrure que Claude venait de lui offrir. Le lendemain, il ira lui-même le racheter aux puces
de Montreuil, ce qui précipitera sa décision : faire interdire sa mère de casino.
    Josette habitera longtemps, elle aussi, au moulin, avec son mari et ses enfants. Quand elle voudra les scolariser à Paris, ils se fâcheront, mais, deux ans plus tard, ils se réconcilieront et Josette reprendra ses fonctions d’intendante, tout en continuant d’habiter à… Paris. Tous les dimanches, il reçoit ses principaux collaborateurs, mais aussi des journalistes, des programmateurs et des animateurs de radio ou de télévision. Au total, le moulin compte une vingtaine de chambres, et il dispose de tout ce qui contribue à faire passer un week-end de rêve : une piscine chauffée en forme de palette de peintre, calquée sur celle d’Elvis Presley à Memphis, un sauna, un terrain de tennis. En hôte parfait, il tient à la disposition de ses invités des maillots de bain, des tenues de sport et des vélos. Son côté patriarche, chef de clan, « parrain ».
    Aller à Dannemois, ce vendredi ? Oui, sauf que demain il y a cet enregistrement des « Rendez-vous du dimanche », aux Buttes-Chaumont.
    Et puis, surtout, il y a un gros problème au moulin : il ne sait pas si l’électricité fonctionne. Toute la journée, elle a été coupée. Josette l’a joint cet après-midi à Leysin pour lui annoncer la nouvelle.
    — Comment ça, coupée ? a-t-il répliqué.

    Sa première pensée a été non pour sa mère, qui se retrouvait sans courant, mais pour ses poissons.
    — Ils vont mourir. Ils doivent rester à température constante, le chauffe-eau est branché sur l’électricité.
    Depuis quatre ans, il s’est pris de passion pour le gigantesque aquarium d’eau de mer encastré dans l’un des murs de la maison américaine. Il l’a rempli de coûteux spécimens exotiques aux couleurs flamboyantes, nécessitant des soins constants. Il ne se passe pas une semaine sans qu’il bombarde sa mère ou sa sœur de directives au sujet de l’aquarium.
    — Mais pourquoi est-ce coupé ?
    Josette n’avait pas tergiversé :
    — Tu n’as pas payé la facture EDF, malgré les relances.
    Il avait accusé le coup, mais avait aussitôt enchaîné :
    — Tu peux aller payer ? Avance-moi l’argent, je te rembourse ce week-end.
    Il avait ajouté :
    — Débrouille-toi, mais il faut absolument rétablir !

    Décidément, ce jour-là, Claude est en bisbille avec la fée électricité. Car, au moment où il allume l’entrée après avoir ouvert la porte de son appartement du boulevard Exelmans, le disjoncteur saute.
    Le noir intégral.
    Kathalyn, qui l’attendait, se retrouve elle aussi dans le noir et avance à tâtons vers le tableau électrique. Elle a l’habitude de ce genre de pannes : à l’aide d’une lampe de poche, elle fouille dans la boîte à outils à la recherche d’un plomb et remet le compteur en marche.
    — Putain d’installation électrique ! commence à s’emporter la star.
    Kathalyn, qui n’a pas envie qu’une colère gâche leurs retrouvailles, temporise aussitôt :
    — L’électricien revient lundi.
    Dans le sillage de Claude apparaît Sylvie Mathurin. Elle est venue ranger sa valise, mais aussi préparer sa tenue pour l’émission du lendemain. Elle s’entend bien avec Kathalyn, ou plutôt Kathalyn s’entend bien avec elle : la compagne du chanteur a l’intelligence de ne pas la percevoir comme une rivale.
    Dans les armoires, elle sélectionne quelques costumes, impeccablement rangés dans leur housse de protection. De là, elle entend Claude dicter quelques notes de service sur son magnétophone. Soudain, il s’arrête. Par la
porte entrouverte, il la regarde.