La dernière nuit de Claude François
un homme sortir le buste par la portière droite, un fusil à la main. Claude le voit aussi dans son rétroviseur et imprime son signalement : blond, les cheveux raides, une moustache, entre vingt-cinq et trente-cinq ans. L’homme ne vise pas les
pneus mais l’habitacle : quelques instants plus tard, la vitre arrière vole en éclats et les balles commencent à siffler.
— Couchez-vous ! lance Claude à ses passagères qui se recroquevillent sur leur siège, tandis qu’il appuie à fond sur l’accélérateur.
La Mercedes fonce à plus de deux cents kilomètres à l’heure dans le silence de la nuit, mais la CX ne la lâche pas.
À l’entrée de Dannemois, il freine pour négocier le virage en équerre, contrôle le dérapage de la voiture qui frôle le mur d’une maison et finit par s’engouffrer dans le moulin, dont le portail a été ouvert, comme toujours en prévision de son arrivée.
Claude et ses passagères sont sains et saufs, mais ils ont eu la frayeur de leur vie.
Le lendemain, il va porter plainte à la gendarmerie, qui dénombre onze impacts de balles 9 mm. L’une d’elles s’est encastrée dans l’autoradio, après avoir frôlé son cou, vu sa trajectoire.
L’affaire fait l’ouverture des journaux télévisés sous le titre : « Qui a voulu tuer Claude François ? » Quelques jours plus tard, la gendarmerie arrêtera le tireur, Pierre Dieudonné, dit Pierrot de Villejuif, un caïd de la banlieue sud, la bande la plus dangereuse du milieu parisien.
Convoqué pour l’identifier, Claude le reconnaîtra comme étant le tireur, mais refusera de
porter plainte. Il dissuadera également les autres de le faire.
Officiellement par crainte de représailles contre ses enfants.
D’aucuns parleront d’une dette de Chouffa…
Dans ce jeu de cache-cache avec la fatalité, il s’en est toujours tiré.
De toute façon, il n’a pas le temps de mourir.
Mais jusqu’à quand ?
Au central des pompiers de Paris, l’appel en provenance du 46, boulevard Exelmans est aussitôt transmis à la caserne d’Auteuil, mais son équipe d’urgence est déjà en intervention.
C’est à la caserne Grenelle, de l’autre côté de la Seine, que l’alerte est déclenchée.
— Un homme électrocuté boulevard Exelmans ! crachote le haut-parleur.
Le sergent Jacquinot et son équipe se précipitent vers la rampe glissante et déboulent directement dans le garage. Il ne s’est pas déroulé une minute quand le camion rouge démarre en trombe. Avenue Émile-Zola. Javel. Pont Mirabeau. Avenue de Versailles…
Après avoir poussé la porte de l’immeuble du chanteur, le sergent Jacquinot délaisse l’ascenseur, situé à droite, du côté des plantes vertes qui ornent l’entrée, pour se diriger vers la porte de gauche qui mène à l’escalier de secours. Les neuf étages ne lui font pas peur. La trentaine fringante, c’est un homme physiquement aguerri qui ne veut pas prendre le risque de se trouver bloqué dans l’ascenseur.
— Laissez-nous, s’il vous plaît, demande-t-il à Kathalyn et Marie-Thérèse, tout en s’agenouillant à côté de Claude François, toujours allongé entre la salle de bains et la chambre, les cheveux encore mouillés.
Il pose le talon de sa main droite sur le sternum de Claude François et le recouvre de sa main gauche. Bras tendus, il entame un massage cardiaque : après chaque pression, il laisse sa poitrine reprendre sa position idéale, afin de permettre au sang de revenir vers le cœur. Il procède avec une régularité métronomique : deux compressions par seconde entrecoupées, toutes les trente secondes, de deux insufflations par la technique du bouche-à-bouche. Ses gestes sont précis et volontaires, il les a déjà exécutés des dizaines de fois, et sa fierté est d’avoir sauvé des dizaines de vies.
Peu à peu, le pouls de Claude reprend sa régularité, entre deux râles provenant des tréfonds.
Une fois de plus, il va réussir.
— Tu sais que c’est Claude François, lui lance alors l’un de ses hommes.
Voyant qu’il ne réagit pas, il ajoute :
— Cloclo, le chanteur !
Le cœur ayant repris un rythme presque normal, le sergent se recule et s’aperçoit que ce corps nu, comme abandonné à lui-même, est bien celui du chanteur préféré de sa femme. Il sourit à l’idée de ce qu’il lui racontera ce soir, quand ils se retrouveront pour dîner.
Dans la pièce d’à côté, Kathalyn et Marie-Thérèse
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