La dernière nuit de Claude François
n’osent pas regarder la porte. Pour tromper son inquiétude, Kathalyn s’affaire à préparer une petite valise : les pompiers vont emmener Claude à l’hôpital et, elle le connaît, sa première parole sera pour réclamer ses affaires.
— Le pouls flanche !
Le sergent Jacquinot remarque aussitôt le filet de sang qui pointe à la commissure de ses lèvres.
Embolie pulmonaire.
Le médecin des pompiers, arrivé à la suite, avec son matériel sophistiqué, place des électrodes sur son corps et tente un électrochoc de la dernière chance.
Pour une fois, Claude François n’a pas la baraka.
Il n’aura jamais quarante ans.
Quand le sergent ouvre la porte, Kathalyn et Marie-Thérèse comprennent tout de suite. À son visage creusé, à ses sourcils qui semblent avoir épaissi en quelques minutes, à son regard empreint de tristesse et plus encore d’impuissance, à la manière dont il ne sait pas quoi faire de ses mains qui n’ont pas réussi à redonner vie à ce corps qui, vingt minutes plus tôt, irradiait de vie, de bonheur, de projets, elles saisissent que c’est fini.
Il n’y aura plus de « lundis au soleil ».
Ni mardis, ni mercredis, ni jeudis, ni vendredis, ni samedis, ni dimanches.
C’est une drôle de journée à la rédaction d’Europe n° 1. Une journée trait d’union, entre la fin de la campagne officielle et le premier tour des élections législatives qui doit se dérouler le lendemain. L’actualité promet d’être en pause, comme si elle se réservait pour le rush de la soirée électorale qui s’annonce comme la plus serrée de la V e République.
Pierre Lescure, présentateur des journaux du week-end, vient juste de rentrer de déjeuner à l’Athénien, le petit bistrot qui sert de cantine
aux piliers de la station, rue François-I er , quand un jeune homme le hèle. Il sort du bocal où se trouve la batterie de combinés du Téléphone rouge : une invention de Maurice Siegel qui consiste à transformer les auditeurs en chasseurs de scoops. Dès qu’ils sont témoins d’une information inédite, ils doivent joindre une ligne dédiée, le 256 5 6 7 8. À la fin de la semaine, la meilleure info est récompensée d’un chèque de 500 francs.
— On vient de nous dire que Claude François est mort.
Pierre Lescure accueille l’info avec prudence.
— C’est fiable ?
— L’appel provenait d’un pompier intervenu sur les lieux. Il n’a pas voulu donner son nom, on ne peut donc pas dire qu’il nous appelle pour l’argent. Il a juste laissé un numéro.
— Comment ça se serait passé ?
— Il se serait électrocuté en changeant une ampoule dans sa salle de bains.
À cet instant, Pierre Lescure aperçoit Charles Villeneuve, un autre journaliste de la station, spécialiste des faits divers, accompagné de sa femme, Geneviève Leroy, qui se trouve être la directrice de la rédaction de Podium .
— On a eu un coup de fil sur le téléphone rouge, Claude François serait mort il y a cinq minutes.
— Tu rigoles ? le coupe Geneviève Leroy. À cette heure, il est en train d’enregistrer « Les Rendez-vous du dimanche » de Michel Drucker. De toute façon, il y a des fous qui annoncent sa mort tous les jours.
— On nous a laissé ce numéro en nous disant qu’on pouvait rappeler pour avoir confirmation…
Bagatelle 09 09.
Geneviève Leroy blêmit. Ce numéro, elle le connaît par cœur.
C’est celui, ultra-confidentiel, de Claude François.
Dans un sursaut, elle dit :
— J’appelle.
Occupé. Chaque fois qu’elle réessaie le 224.09.09, même tonalité.
— Je file chez lui et je te rappelle. À 15 h 15, Pierre Lescure reçoit confirmation de l’information. Il se précipite vers le studio, enfile son casque et annonce gravement après un jingle :
Information Téléphone rouge d’Europe n° 1, Claude François est mort, il s’est électrocuté en changeant une ampoule…
Boulevard Exelmans, la police judiciaire a débarqué, alors que le commissariat local a déjà fait installer des barrières autour du 46.
Pour le moment, plus personne ne peut accéder à l’appartement. Un planton en interdit l’accès.
Des officiers sont en train d’interroger Kathalyn et Marie-Thérèse. Séparément. Il s’agit de déterminer les circonstances de la mort de Claude François.
De son côté, le médecin des pompiers examine le corps. D’emblée, il remarque les traces de brûlure sur deux doigts du chanteur. Pour lui,
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