La Fausta
voilà tout, fit Pardaillan, qui haussa les épaules.
Dès lors M. Peretti commença à se demander s’il ne ferait pas mieux de se retirer. Il ne doutait plus de Pardaillan. Mais jusque-là, il s’était volontiers bercé de cet espoir que le chevalier avait fort exagéré la situation. A la vue des armes de guerre, il commença à prendre au sérieux l’aventure.
« Ouais ! se dit-il, je serais mieux à mon aise dans l’hôtel de la vieille reine… Ma présence ici est-elle indispensable ?… Non, certes… Une balle s’égare… un coup de dague est vite donné… Et qu’arriverait-il, Seigneur, si demain le monde apprenait la mort de Sixte Quint !… »
Mais M. Peretti était brave sans doute. Et puis une irrésistible curiosité lui était venue de voir à l’œuvre cet homme extraordinaire qui venait défendre un trésor et qui ne voulait rien recevoir en échange. M. Peretti demeura donc.
La journée se passa sans incident. Vers la tombée du jour, Picouic et Croasse furent envoyés en sentinelles perdues, au pied de la butte, pour signaler l’approche de toute bande armée ou non. Picouic était guilleret. Mais Croasse était plus lugubre que jamais.
— Ah çà ! demanda le premier, qu’as-tu à soupirer ?
— J’ai, morbleu, que l’injustice du sort me révolte à la fin, dit Croasse.
— C’est toi qui es injuste. Comment ! tu échappes au Belgodère qui te rouait de coups, tu te trouves engagé dans une maison où l’on mange quatre fois par jour, sous un jeune maître qui te parle avec une exquise politesse, bien loin de te battre… et tu te plains ?
— Eh ! qu’importe tout cela, si je suis tué !
— Et pourquoi serais-tu tué, imbécile ?
— Mais parce que nous allons avoir bataille… Picouic, veux-tu que je te dise une idée qui me passe par la tête ?
— Voyons l’idée…
— Eh bien, ce M. de Pardaillan est un terrible homme qui ne rêve que plaies et bosses.
— Ceci me paraît assez juste. Après ?
— Après ? Eh bien, nous devrions nous en aller.
Picouic tira sa dague :
— Ecoute, mon ami, dit-il. Si tu essayes de nous déshonorer en prenant lâchement la fuite avant même le combat, tu n’en mourras que plus vite, car je suis décidé à t’occire de mes propres mains.
Croasse fut immédiatement convaincu par le raisonnement limpide et frappant de Picouic ; il promit d’être brave comme un Ajax, mais tout en descendant vers la chapelle Saint-Roch où Pardaillan les envoyait en sentinelles, il soupirait fort et maugréait :
— A quoi nous servira d’être bien nourris, si nos corps doivent être percés à coups de lances, de flèche ou de balles de pistolet jusqu’à devenir des écumoires ?
— Cela nous servira toujours à mourir dignement dans la peau reluisante de deux hommes gros et gras.
Croasse estima ou fit semblant d’estimer que c’était là une consolation tout à fait digne de considération, et cessa ses plaintes. Les deux géants maigres s’installèrent donc aux abords de la chapelle Saint-Roch et se mirent à surveiller le terrain dans la direction de la porte Saint-Honoré. La nuit était venue et Croasse commençait à espérer que tout se passerait en douceur, lorsqu’une troupe sortit de Paris et se dirigea droit sur la chapelle. Elle se composait d’une quarantaine d’hommes d’armes et était suivie d’une lourde charrette que traînaient trois forts chevaux. Les hommes d’armes étaient pour intimider les gens du moulin, la charrette pour transporter à l’hôtel de Guise les trente précieux sacs.
L’expédition était conduite par Maineville. Près de Maineville marchaient Maurevert, Bussi-Leclerc et Crucé. Le reste se composait de soldats, cette sorte de razzia devant demeurer secrète. Mais mêlé à ces soldats, un gentilhomme masqué marchait silencieusement ; c’était le duc de Guise lui-même, qui avait voulu assister à l’opération, de crainte peut-être que l’un des sacs ne s’égarât en route.
Maineville, Bussi-Leclerc et Crucé étaient des intimes de Guise, des agents dévoués corps et âme, propres à toute besogne, et ils étaient là à l’exclusion de tous autres gentilshommes du duc.
On connaît Maineville et Maurevert.
Crucé était un bourgeois, ligueur enragé, parent de ce Crucé qui s’était distingué de si horrible façon pendant les massacres de la Saint-Barthélemy. Il avait rendu à Guise des services d’une nature spéciale en lui
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