La Fausta
ferai plus : je m’engagerai à ton service et serai le fidèle serviteur, gardien de ta maison et de ta vie. Dis, veux-tu me répondre ?… — Questionne ! me dit le bourreau… Je pris tout mon courage pour lui demander : — Sais-tu où sont mes filles ?… Et ce fut pour moi une minute de joie délirante lorsque j’entendis Claude me répondre : — Sans doute, puisque c’est moi qui les ai placées ! Oh ! tu peux te rassurer, bohème : tes filles sont privilégiées. Elles ont eu la chance d’être adoptées par un très haut bourgeois… » Ces mots n avaient aucun sens pour moi. Mais je me disais : « Cet homme qui me parle doucement ne me refusera pas de me dire où sont mes filles. Sans doute, il a tué Magda. Mais c’est son métier. Je ne puis lui en vouloir. Son métier n’est pas de désespérer un malheureux père, il va parler… »
Belgodère souffla fortement et fixa des yeux hagards sur Fausta.
— Croyez-vous qu’il ait parlé ? fit-il en éclatant d’un rire sauvage.
— Sans doute, dit doucement Fausta. Le contraire me semble une impossible monstruosité.
Belgodère grogna quelques mots confus dans sa langue de bohème. Puis il reprit :
— Je priai donc le bourreau de me dire où se trouvaient mes enfants. Il fit non de la tête. Je me remis à genoux comme la première fois. Et je le suppliai de me les montrer encore une fois, lui jurant que je n’entreprendrai pas de les enlever. Pour toute réponse, il me releva en me saisissant par les épaules. Je criai grâce et miséricorde. Alors, il me dit : « Ecoute, bohème, je devrais t’arrêter et te conduire à l’official. En te laissant partir, comme je l’ai déjà fait une fois, je manque à mon devoir. Ne lasse pas ma patience, et va-t’en. — Mes filles ! mes filles ! hurlai-je. — Tes filles sont en bonnes mains. Elles seront plus heureuses qu’avec toi. — Je veux mes filles ! Rends moi mes filles ! — Allons, dit-il sans colère et sans pitié, va-t’en !… » Et comme la première fois, il m’empoigna, car si fort que je sois, cet homme est encore plus fort que moi, et il me jeta dans la rue… Alors, comme dans la nuit où j’avais tant pleuré Magda, j’allai m’asseoir dans le terrain vague et, la tête sur mes genoux, je réfléchis à mon malheur, et je fis le serment que Claude souffrirait exactement ce que j’avais souffert.
— Le serment est beau, sans doute, dit froidement Fausta. Reste à l’accomplir !
— Vous allez voir, dit Belgodère avec son rire terrible. Je n’étais pas pressé. J’eusse pu tuer Claude, mais cela me paraissait insuffisant. Je m’attachai donc à ses pas. Je le suivis partout où il allait. Et c’est ainsi que je sus qu’il avait une fille et que cette fille, il l’aimait, il l’adorait comme j’avais aimé, adoré ma Stella et ma Flora. Le jour où j’eus cette certitude, madame, je faillis devenir fou de joie… Comme moi, Claude aimait ! Comme moi, Claude allait souffrir. Comme moi, il allait pleurer sa fille ! Et comme mes filles à moi, la sienne allait vivre avec des étrangers, d’une autre race et d’une autre religion… Cette fille, madame, c’était Violetta…
— La fille de Claude ? dit Fausta.
— Oui, répondit Belgodère étonné de la question.
— Violetta, c’est la fille de Claude ?
— Sans doute ! L’eussé-je haïe sans cela ? En elle, c’est Claude que je hais. Mais pourquoi me demandez-vous cela ?
— Pour être bien sûre que Violetta, c’est la fille de Claude. Du moment que tu en es sûr…
— Tout à fait. Je continue donc. Je ne tardai pas à m’apercevoir que le bourreau avait une vraie passion pour son enfant. C’est donc dans l’enfant que je résolus de le frapper, et je pris toutes mes dispositions en conséquence. Malheureusement, je vis un jour que j’étais suivi : je dus fuir, quitter la France. Les bohémiens sont patients dans leur amour et dans leur haine. J’attendis patiemment le temps nécessaire pour être oublié. Au bout de quelques années je revins : mon amour était mort, mais l’attente avait aiguisé les dents de ma haine, je revenais affamé de vengeance.
Belgodère frissonna. Fausta le contemplait et l’étudiait avec une sorte de curiosité funeste.
– Je m’emparai donc de Violetta, poursuivit le bohémien. Une nuit je pénétrai avec deux ou trois de mes compagnons dans la petite maison de Meudon où il la venait voir. Violetta était sous la
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