La Fausta
leva et fit quelques pas en grommelant dans son langage de rudes vocables qui devaient être des imprécations d’une joie hideuse. Soudain, il s’arrêta court.
— Mais Claude ? gronda-t-il. Claude, comment verra-t-il ? C’est que tout est là !… Comment le préviendrai-je ? Car il faut que ce soit moi qui le prévienne !…
— Bon. Ecoute-moi bien. Demain matin, tu iras sur la place de Grève. Lorsque tu verras que la foule est rassemblée, lorsque, les hurlements joyeux du peuple t’apprendront que les condamnés arrivent au supplice, tu entreras dans la troisième maison qui se trouve à gauche de la place en tournant le dos au fleuve…
— La troisième maison. C’est dans ma tête.
— Tu ne pourras t’y tromper. Il y aura des têtes à toutes les fenêtres des maisons voisines. Mais cette maison-là, vois-tu, sera fermée du haut en bas comme si elle portait le deuil des deux condamnés… Quand tu seras entré, tu demanderas à parler au prince Farnèse.
— Qui est le prince Farnèse ?…
— Qu’importe ! dit Fausta avec un livide sourire. On te conduira devant le prince Farnèse. Il est probable qu’on te fera entrer dans une grande pièce dont la fenêtre donne sur la place de Grève.
— Mais Claude ! Claude !…
— Eh bien, Claude, tu le trouveras auprès de Farnèse !… Ce sont deux amis inséparables.
— Je ne comprends pas, dit Belgodère en hochant la tête, qu’un ancien bourreau soit l’ami d’un prince. N’importe, j’irai et agirai comme vous venez de dire. Et que devrai-je faire alors ?
— Si, comme je l’espère, le prince Farnèse est dans la maison, si maître Claude se trouve auprès de lui, si tu es introduit près d’eux au moment où les Fourcaudes sont amenées sur la place de Grève, le reste te regarde !
— Mais enfin, gronda le bohémien, qui suivait ces détails avec une attention passionnée, si le prince n’est pas dans la maison ?
— Il y sera !
— Si Claude n’est pas près de lui ?…
— Il y sera !
— Si on ne veut pas me laisser entrer ?…
— Tu diras simplement que tu es l’homme attendu par le prince Farnèse à dix heures du matin.
— Je serai donc attendu ? fit le bohémien stupéfait.
— Tu seras attendu par Farnèse et par maître Claude !… Va maintenant. Je t’avais promis que ta vengeance, pour être retardée, n’en serait que plus complète. Va ! Demain, à dix heures, tu montreras à Claude, par la fenêtre ouverte sur la place de Grève, sa fille Violetta sur le bûcher.
Belgodère eut un rauque grognement et, s’élançant hors de la maison Fausta, se dirigea en toute hâte vers la place de Grève. La nuit était profonde. Mais sur la place, à la lueur de quelques torches, des travailleurs nocturnes accomplissaient une singulière besogne. Le bohémien les examina quelques minutes.
— Les deux bûchers ! grommela-t-il en tressaillant.
Ces travailleurs, c’étaient en effet des aides du bourreau de Paris. Et ces échafaudages qu’ils élevaient avec beaucoup de méthode, fascines dessous, pièces de bois par-dessus, le tout autour d’un poteau, c’étaient les deux bûchers destinés aux Fourcades.
Après le départ de Belgodère, Fausta s’était mise à écrire. Voici ce qu’elle écrivit :
« Votre rébellion méritait un châtiment. C’est pourquoi je vous ai infligé une souffrance proportionnée à votre faute. Puisque la rébellion était causée par votre fille, j’ai voulu que la souffrance vous vînt de votre fille. Et c’est pourquoi je vous ai dit qu’elle était morte. Mais vous êtes mon disciple bien-aimé. Je ne veux pas que la punition se prolonge… Cardinal, apprenez donc que Violetta n’est pas morte. Si vous voulez la revoir, trouvez-vous demain matin dans notre logis de la place de Grève et à l’homme qui, peu avant dix heures, vous viendra voir, demandez de vous la montrer : il vous la montrera.
Votre très affectionnée qui attend votre retour. »
Un messager porteur de la lettre partit aussitôt. Alors Fausta laissa tomber dans sa main sa tête alourdie et murmura :
— J’atteins et je frappe Farnèse. Mais comment atteindre et frapper Pardaillan avant de le livrer à Guise ?… Le père assistera au supplice de Violetta… pourquoi l’amant n’y assisterait-il pas ?
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Chapitre 33 LA CHEVALIERE
F austa, longtemps, demeura immobile, s’absorbant, se pétrifiant pour ainsi dire ; seulement, dans ce visage où ne courait pas
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