La Fausta
souriait et jouait avec les ciseaux d’or qu’elle portait suspendus à sa ceinture par une chaînette — les fameux ciseaux destinés à tonsurer Henri III et à lui faire sa troisième couronne.
Le cardinal de Guise parla le premier et dit :
— J’ai reçu de celle qui nous guide l’ordre d’attendre à Notre-Dame l’arrivée de mon frère Henri. J’avais tout préparé pour la cérémonie du couronnement. Six cardinaux et douze évêques envoyés par Sa Sainteté Fausta m’entouraient. Trois cents curés, doyens ou vicaires, étaient prêts à se répandre dans Paris pour annoncer la bonne nouvelle. Tout était prêt : mon frère seul ne l’était pas, puisqu’il n’est pas venu à Notre-Dame !
Henri fronça le sourcil. Mais déjà le duc de Mayenne prenait la parole à son tour.
— Par ma foi, dit-il, je suis bien venu d’Auxerre à Paris à franc étrier, sur le reçu d’une missive à moi dépêchée par la belle Fausta. Je dis : à franc étrier, et ce n’est pas peu dire. En route, je me disais : « Pourvu que j’arrive à temps ! » Je suis même arrivé trop tôt, puisque j’ai pu disposer deux mille combattants dans les rues, et que moi-même, avec mille bons pertuisaniers, j’ai pris position dans le Louvre. Mais en vain j’y ai attendu mon frère Henri.
Henri se mordit les lèvres.
— J’avais cinq cents bourgeois et hommes du peuple sur la Grève, dit à son tour la duchesse de Montpensier. Ces braves gens avaient reçu le mot d’ordre de notre incomparable Fausta. Elle me fit un signe. Je criai : « Vive le roi !… Et mes gens de crier à tue-tête : Vive le roi !… » Mais il n’y eut point de roi ! Je vous garantis, mon frère, que Paris est bien vexé d’avoir crié « Vive le roi ! » et de n’avoir point de roi.
— Paris est ivre, dit Mayenne, et vous savez comme il a l’ivresse mauvaise.
— Paris gronde, ajouta rudement le cardinal.
— Paris ! Paris ! éclata Henri. Vous ne parlez que de Paris. On dirait à vous entendre que le royaume de France commence à la porte Bordelle pour finir à la porte Montmartre ! Aller à Notre-Dame pour m’y faire couronner ! Marcher de là sur le Louvre pour y décréter la déchéance de Valois ! C’était possible. C’était facile, trop facile !… Et les provinces, qu’en faites-vous ? Et les parlements qui me dénoncent comme fauteur de trouble et de sédition, qu’en faites-vous ? Et les évêques fidèles à Sixte qui m’imposent comme condition une parfaite soumission à Rome, qu’en faites-vous ? Et le roi d’Espagne qui demande les preuves de mon droit à la couronne, qu’en faites-vous ? Roi, je veux l’être, autant pour moi que pour vous. Mais par le ciel, je veux l’être à la manière d’un vrai roi qui prend sa place légitime, et non à la façon d’un larron qui dispute sa couronne à la France ameutée. Que m’apportez-vous ? Paris !… Mais c’est moi qui l’ai conquis, Paris !… Paris, c’est moi ! Pouvez-vous me donner les parlements, les évêques, Rome, l’Espagne ? Non !… Et bien, une femme me donne tout cela d’un mot. Catherine de Médicis !… Oui, Catherine, qui vieille, à bout de forces, et voyant en son fils Henri le dernier représentant des Valois, préfère encore un Guise à un Navarre ! Catherine qui sait que son fils est condamné, rongé par une maladie implacable ! Catherine qui m’a supplié d’attendre un an, rien qu’un an ! d’attendre, dis-je, la mort de son fils ! de donner à ce fils une année de tranquillité ! Catherine, enfin, qui m’a promis, juré, contre cette tranquillité accordée à l’agonie de son fils, de me faire désigner comme le successeur légitime !… Voici donc mon plan : je vais à Chartres. En fidèle sujet, je ramène le roi à Paris. Pour prix de mes services, il me donne la lieutenance générale, c’est-à-dire la vice-royauté, c’est-à-dire un pied sur les marches du trône. Cette année de répit, je la passe à gouverner sous le nom de ce roi qui sera trop heureux qu’on le laisse processionner avec ses mignons pour le salut de son âme. Et quand il meurt, naturellement, sans secousses, sans guerre dans le royaume et à l’extérieur, je suis le roi légitime… Avez-vous mieux à m’offrir ?
En parlant ainsi, le Balafré considérait la duchesse de Nemours. Mais la mère des Guise, le coude sur le bras du fauteuil, le menton dans la main, tenait ses yeux fixés
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