La Fausta
n’est-elle pas morte ?… Je n’y songerais plus ! L’effroyable supplice que la jalousie !… Quand je pense à cet homme qui l’a prise dans ses bras et l’a emportée, moi qui vais être roi, je me trouve misérable… »
— Il songe à la couronne, notre roi ! murmura Bussi-Leclerc.
— Oui, mais il est onze heures ! dit Maineville à voix basse ; et il désigna d’un coup d’œil l’horloge, qui en effet se mit à sonner les onze coups.
— Diable !… Et Maurevert qui nous a fait prévenir ! Maurevert qui nous attend ! Nous ne pouvons pas abandonner ce bon compagnon en cette pénible circonstance !
Bussi-Leclerc ricanait en parlant ainsi. Maineville, résolument, s’avança vers le duc de Guise :
— Monseigneur…
Guise tressaillit, et parut étonné de voir encore ses deux fidèles.
— Je vous avais oubliés, dit-il en passant une main sur son front.
— C’est bien ce que nous nous disions, fit Maineville, mais nous n’osions interrompre vos… royales pensées.
Guise eut un singulier sourire, et sa lèvre hautaine se crispa comme s’il eût fait un effort pour sourire.
— Cependant, reprit Bussi-Leclerc, comme voici onze heures qui sonnent, nous prierons Monseigneur de nous accorder notre congé…
— Oui ; la journée a été rude, en somme, et vous êtes fatigués…
— Fatigués ? dit Maineville. Jamais nous ne sommes fatigués à votre service. Mais nous avons un rendez-vous à minuit…
— Un rendez-vous d’amour ?… Ah ! vous êtes bien heureux vous autres, de pouvoir aimer comme bon vous semble…
— Monseigneur, vous vous trompez ; ou du moins, c’est un rendez-vous d’amour, mais il ne s’agit pas de nous… Il s’agit… Ah ! ma foi, l’aventure est trop drôle, et malgré les recommandations de Maurevert, il faut que vous le sachiez !
— Il s’agit donc d’une femme ? demanda Guise.
— Oui, monseigneur, fit en riant Bussi-Leclerc.
– Et Maurevert vous a recommandé la discrétion ?
— C’est-à-dire qu’il nous a fait jurer d’être muets comme la tombe !…
— Alors, messieurs, il ne me faut rien dire. Si nous ne respectons pas les secrets d’amour, il n’y aura plus moyen de se promener dans Paris, parce qu’on y rencontrera trop de maris à qui vos indiscrétions auront donné la jaunisse.
— Voilà justement, monseigneur, qui nous permet de parler malgré tous les serments que nous avons prodigués à Maurevert. Car Maurevert n’est pas en train de mettre à mal un mari… Non, non, monseigneur, c’est plus drôle que cela ! Et d’autant plus drôle que c’est à vous surtout qu’il voulait cacher son secret.
— A moi surtout ?
— Oui, monseigneur. Pourquoi ?… mystère et hyménée !
— Hyménée !…
— Eh bien, oui, voilà le mot lâché : Maurevert se marie ! Maurevert convole en justes noces ! Et nous l’assistons en cette aventure comme nous l’assistons en tous ses duels.
— Maurevert se marie ! Et il ne m’a rien dit !…
— A vous moins qu’à tout autre, monseigneur !
— Mais enfin, vous saviez, vous autres. Pourquoi ne m’avez-vous pas prévenu ? Il ne me convient pas que les gentilshommes de ma maison prennent femme sans mon agrément…
— Nous ne savions rien, dit Maineville. Dans la soirée, pendant que vous étiez en conseil avec M me de Nemours, Maurevert nous est arrivé avec une singulière figure, et, après nous avoir fait jurer le secret, nous a annoncé son mariage pour cette nuit même, en nous priant de l’assister et en ajoutant que son aventure lui semblait si étrange à lui-même qu’il avait besoin de deux, bons amis comme nous pour se rassurer contre un accident ou un malheur possibles.
— Voilà qui est étrange, en effet. Et qui épouse-t-il ?
— Voilà ce que nous ignorons ; nous ne connaîtrons la fiancée qu’en la voyant… Ainsi, monseigneur, si vous y consentez, nous allons nous retirer, Leclerc et moi, pour nous trouver à Saint-Paul à onze heures et demie.
— Ah ! c’est à Saint-Paul ?…
— Oui, monseigneur.
— Eh bien, fit tout à coup le duc de Guise, non seulement je vous autorise à vous rendre à ce bizarre rendez-vous, mais je vous y accompagne ! Pardieu ! je veux, moi aussi, voir la fiancée de Maurevert.
En parlant ainsi, le duc assura sa rapière et jeta un manteau sur ses épaules. Maineville et Bussi-Leclerc se regardèrent, cessant de rire. En somme, ils venaient de commettre quelque chose
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