La Fausta
Mais tu racontes cela d’un air… il me semble que j’y suis encore !…
— Le fait est, dit Pardaillan, que c’était là une coquette façon de mourir…
— Oh ! murmura Charles en frissonnant, cette Fausta est donc le génie de la perversion…
Il y eut un instant de silence, pendant lequel la Roussotte et Pâquette se remirent de leur émotion en vidant un gobelet de vin que Pardaillan leur versa de la dame-jeanne.
— J’en ai gardé la petite mort, reprit alors la Roussotte. Mais enfin, pour achever de vous raconter, voilà que je vois tout à coup la Pâquette qui saisit une chaise près d’elle juste au moment où sa corde, à elle, allait la soulever ! Et elle grimpe sur la chaise. Dans mon dernier regard, je vois aussi un escabeau près de moi. Je l’attire, je monte ! Nous voilà sauvées… sauvées pour dix minutes… car les maudites cordes, comme si de rien n’était, continuaient, à se tendre !… En sorte que nous étions toutes deux perchées comme des poules, ou si mieux vous aimez, nous étions comme deux ablettes au bout de deux lignes…
Et la Roussotte acheva cette comparaison par les gestes qu’elle crut les plus expressifs. Et il se dégageait de ce récit, de ces attitudes de la narratrice, une sorte de comique macabre, en sorte que Pardaillan ne pouvait s’empêcher de rire et de frissonner tout à la fois.
— Bon ! Au bout de dix minutes, donc dix siècles, mes gentilshommes, dix agonies, dix morts ! au bout de ce temps, dis-je, voilà les cordes retendues !… Plus d’espoir, alors !… Je me hisse sur la pointe des pieds, et tout d’un coup, comme dans une folie, je me mets à crier : « Grâce ! Grâce ! »
— Et moi aussi, dit la Pâquette. En entendant la Roussotte, je crie : « Grâce ! Grâce !… »
— Et notez qu’il n’y avait personne !… Mais je crie de plus belle : « Grâce ! Je ne le ferai plus !… » Alors, la corde s’arrêta tout à coup de se tendre ! Et même elle se détend un peu !… « Grâce ! Plus jamais je n’entrerai ici !… » La corde se détend !… Et voilà qu’une voix sortie de je ne sais où une voix qui me glace d’horreur, une voix pourtant douce, mais si dure, aussi, cette voix donc, bien qu’il n’y eût personne dans la pièce, nous dit : « Vous repentez-vous ?… »
« — Oui ! oh ! oui ! que nous crions en sanglotant toutes deux.
« — Essayerez-vous encore de surprendre des secrets sacrés ?…
« — Jamais ! oh ! jamais !…
« — Eh bien, pour cette fois, Dieu vous a fait grâce ! Allez, et soyez fidèles !… » A ces mots, continua la Roussotte haletante, voilà les cordes qui se détendent tout à fait. Je saute au bas de mon escabeau. Pâquette saute en bas de sa chaise. Je m’évanouis. Lorsque je revins à moi, je me trouvais étendue dans une salle de l’auberge, et Pâquette était près de moi. En sorte que sans la vive douleur que nous éprouvions toutes deux autour du cou, nous aurions pu croire que nous avions rêvé.
La Roussotte se tut quelques instants. Elle se frottait doucement le cou.
— Voilà, reprit Pâquette, ce qui nous est arrivé pour avoir voulu regarder de l’autre côté de cette porte…
— Et vous comprenez, ajouta la Roussotte, que plus jamais nous n’avons eu envie de recommencer…
— Diable ! fit Pardaillan, mais moi, tout ce que vous racontez là me donne une furieuse envie d’aller y voir…
Les deux hôtesses effarées se regardèrent en pâlissant.
— Gardez-vous-en ! murmura l’une.
— Il vous arriverait malheur ! dit l’autre.
— Bah ! bah ! je crois que vous exagérez un peu. Et puis, après tout, ce ne sera jamais aussi terrible que le pressoir de fer auquel votre enseigne me fait songer…
La journée peu à peu, dans ces récits, s’était écoulée ; le soir était venu. Dans l’auberge, des flambeaux s’étaient allumés, et des lampes de fer suspendues au plafond laissaient échapper de leurs becs des lueurs fumeuses.
Pendant ce temps, la dame-jeanne s’était vidée. Après la dame-jeanne, de nombreux flacons avaient succombé aux attaques réitérées. Et il va sans dire que la Roussotte était plus rouge que jamais, et que Pâquette devenait coquelicot. Si bonnes buveuses qu’elles fussent, Pardaillan, qui était un terrible videur de pots quand il s’y mettait, les avait mises à merci.
— Voyons, reprit-il tout à coup, que diriez-vous si je vous demandais de me
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