La Fausta
façons de truands, deux gueux capables de tout moyennant honnête rétribution, deux de ces sacripants comme il en pullulait alors et qui, pour quelques écus, dépêchaient leur homme en douceur et sans trop le faire crier. Maurevert fit donc un signe impérieux, auquel les deux hères se rendirent aussitôt.
- Voulez-vous gagner chacun cinquante bonnes livres bien comptées? demanda Maurevert tout en continuant à surveiller du coin de l'œil la porte de l'auberge.
Les deux malandrins se poussèrent du coude.
- C'est le jour des heureuses fortunes! dit l'un d'eux d'une voix aiguë.
- Nous allons devenir trop riches! fit l'autre d'une voix lugubre.
- Que faut-il faire? reprirent-ils en chœur.
Maurevert s'assura que les deux truands étaient armés d'une bonne dague, et ce, malgré les édits répétés: la vue des poignards amena un sourire livide sur ses lèvres décolorées.
- Comment vous appelez-vous, mes braves? demanda-t-il.
- Moi, Picouic, et mon compagnon Croasse, répondit avec un salut le plus maigre, le plus décharné des deux.
- Noms de guerre, grommela Maurevert. Ce sont bien des tire-laine. Ecoutez, mes braves; ce qu'il faut faire, le voici: il y a là, dans cet auberge, un homme…
- Qui vous gêne, peut-être? dit Picouic, voyant que Maurevert s'arrêtait.
- Tu es intelligent, l'ami, dit Maurevert.
- Et cet homme, reprit Picouic, il s'agirait de…
- Oui! gronda Maurevert.
- Bon! Ca nous va, dit Picouic. Cent livres pour nous deux, après l'opération: c'est entendu.
- Qu'est-ce qui est entendu? demanda Croasse.
- Tu le sauras. Un instant, mon gentilhomme: le nom de votre… gêneur?
- Qu'importe son nom… pourvu que tu le tues!…
- Au fait!… Pourvu que nous soyons appuyés!…
- Voici l'argent, dit Maurevert: je suis beau joueur, moi!
Picouic fit disparaître la bourse, s'inclina jusqu'à terre, et dit:
- Monseigneur va être servi à l'instant… Prépare ta dague, Croasse!
- Silence!… fit Maurevert.
La porte de l'auberge s'ouvrait. Les trois hommes s'aplatirent contre un mur. Dans le rai de lumière qui sortait du cabaret, Maurevert reconnut Pardaillan et se sentit blêmir… Lorsque le chevalier et le chien se furent mis en route, Maurevert donna ses instructions:
- Suivez-moi, dit-il à voix basse. Quand je vous dirai: «Allez!» il sera temps. Vous vous jetterez sur l'homme. Mais ne le manquez pas du premier coup: sans quoi il ne vous manquera pas, lui!
Pour toute réponse, Picouic tira son poignard, et Croasse, ayant enfin compris ce dont il s'agissait, l'imita. Maurevert se mit en route. Les deux maigres hercules le suivaient, le poignard au poing. Vingt fois, Maurevert eût pu donner le signal; vingt fois, il fut sur le point de le donner. Il n'osa pas!…
«S'ils le manquent!… s'il ne tombe pas du premier coup!… je suis perdu, moi!… »
C'est en roulant ces pensées de peur mortelle que combattait la haine que Maurevert, sur la piste de Pardaillan, atteignit le cimetière des Innocents… Puis, après de longs pourparlers avec son chien, Pardaillan revint sur ses pas… Les trois hommes le virent passer à trois pas et le suivirent encore jusque dans la Cité… au bout de l'île…
Là, Maurevert vit le chevalier s'arrêter devant une maison. Il ne se demandait pas ce que signifiait l'étrange allure de Pardaillan. Il cherchait seulement comment il pourrait fuir dès que ses deux acolytes se rueraient sur le chevalier. Dans la Cité, devant la mystérieuse maison, il crut enfin que l'occasion était propice, et il allait s'effacer, donner le signal, lorsqu'une femme échevelée sortit de l'auberge voisine et alla tomber dans les bras de Pardaillan… Quelques instants plus tard, le chevalier disparaissait avec l'inconnue dans la maison à laquelle il venait de frapper.
- Il nous échappe, dit Picouic. C'est de votre faute, mon gentilhomme!
- Attendons, répondit Maurevert…
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Chapitre 9 L’ABSOLUTION
M aître Claude, tenant Violetta évanouie dans ses bras puissants, s'était jeté dans la trappe. Il tomba. Et pendant les deux secondes que dura la chute, sa pensée suprême ne fut pas qu'il allait sans doute mourir.
«Elle sait que j'ai été bourreau!… »
Voilà ce qu'il songea en ce laps de temps si court où la pensée pouvait à peine prendre une forme.
En atteignant l'eau, Claude se sentit d'abord entraîné au fond, très loin. Il étreignit son enfant sur sa vaste poitrine, et, d'un rigoureux coup de talon, remonta à la surface
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