La Fausta
moine!…
Plus loin enfin, devant une quatrième porte, sur les confins de la partie réservée aux gardes:
- Ici, le bohémien Belgodère… Un bon limier à lancer sur Farnèse…
Ainsi, avec une effrayante lucidité, cette femme étiquetait pour ainsi dire sa multiple pensée; son esprit se mouvait à l'aise dans le tourbillon de la vaste intrigue; elle semblait dominer les événements, et d'avance assignait son rôle à chacun des personnages qu'elle avait sous la main et qui, sans se connaître, allaient manœuvrer sur la même scène, dans le formidable croisement des drames qu'elle agençait…
Comme elle revenait sur ses pas et qu'elle passait devant le grand vestibule, tout à coup une voix sonore et railleuse parvint jusqu'à elle. Chaque porte de ce palais était truquée; chacune possédait un judas, un œil invisible… Fausta n'eut qu'à s'approcher pour voir ce qui se passait dans le vestibule. Elle eut une exclamation de joie et d'étonnement.
- Dieu est avec moi! murmura-t-elle.
Au même instant elle fit un signe: et sans doute ses servantes ne la perdaient jamais de vue dans ses évolutions, car aussitôt deux femmes accoururent, deux femmes françaises, celles-là. Elle leur donna quelques ordres à voix basse et rapide, puis ouvrit toute grande la porte du vestibule, où Pardaillan, soutenant dans ses bras la duchesse deGuise, disait leur fait aux deux gardes et leur reprochait leur inhospitalité…
- A Dieu ne plaise, dit Fausta, que quelqu'un ait frappé à ce logis et qu'il n'y ait pas trouvé les secours qui se doivent entre chrétiens. Entrez, monsieur: vous êtes le bienvenu… Mes femmes vont donner les soins nécessaires à votre dame que je vois pâmée…
Pardaillan remit la duchesse deGuise aux bras des deux femmes qui s'avançaient et qui, à l'instant, disparurent dans l'intérieur, entraînant ou plutôt portant Catherine deClèves sans connaissance. Alors Pardaillan se découvrit, salua de l'un de ses gestes où il y avait une charmante et naïve emphase, une politesse royale et une aisance cavalière de routier.
- Madame, dit-il, je vous dois mille grâces. Sans vous, je me fusse trouvé fort embarrassé. Cette noble dame n'est point mienne…
- Cela se peut-il? dit Fausta, qui considérait le chevalier avec une attention soutenue.
- Voici l'histoire en deux mots: je passais, par hasard, devant cette maison, lorsque je vois accourir vers moi une femme qui crie et, fort effrayée par je ne sais quel danger, s'évanouit dans mes bras en implorant aide et assistance. Je vois ici une fenêtre éclairée. Je frappe. On m'ouvre enfin. J'explique la situation à deux dignes serviteurs que je m'excuse d'avoir quelque peu ébaubis. Et ladite situation, cette dame dans mes bras, vos deux domestiques effarés et complotant entre eux, moi réduit à l'impuissance et commençant à me trouver ridicule, la situation, dis-je, menaçait de devenir gênante, lorsque votre bonne grâce est venue tout arranger d'un mot et d'un sourire, ce dont le chevalier dePardaillan a l'honneur de vous présenter sa gratitude émerveillée.
Ceci fut débité avec cette élégance de geste et de voix et cette imperceptible émotion comme poudrée de raillerie, qui n'appartenaient qu'à Pardaillan.
- Sire chevalier dePardaillan, dit gravement Fausta de cette voix harmonieuse qui enveloppait comme une caresse, votre air et vos paroles me donnent le désir de vous connaître mieux que par l'échafaudage de quelques politesses. Ne me ferez-vous pas la faveur de vous reposer un instant chez la princesse Fausta-Borgia, étrangère venue à Paris pour s'y instruire des arts, des lettres, de la noble élégance de la gentilhommerie française…
Le chevalier jeta autour de lui ce rapide, profond et sûr coup d'œil de l'homme habitué à la prudence que donne le courage poussé à ses dernières limites.
«Qu'est ceci? grommela-t-il en lui-même. Un lieu d'amour?… Bien sinistre en tout cas!… Un coupe-gorge, peut-être?… Hum!… Voilà aussi, par la mortdiable, une créature par trop délicieuse, et d'invraisemblable beauté pour un tel cadre… Ma foi, je me laisse tomber! Tant pis s'il y a un précipice sous les fleurs!… »
Et s'inclinant avec une grâce altière, non sans laisser entrevoir une longueur démesurée de sa rapière, et appuyant sur la garde:
- Madame, dit-il, l'illustre nom de Borgia m'est garant qu'en fait d'arts et de lettres vous pourriez être notre éducatrice. Et quant à
Weitere Kostenlose Bücher