La Fausta
son dernier retranchement… Cet or, le pape nous l’avait promis… puis voici que ce vieux ladre se retire de nous. Il a peur d’on ne sait quoi… Et pourtant, l’or est là !… Cet or, Maurevert, c’est la Ligue sauvée, c’est la couronne pour Guise, et pour moi l’épée de connétable. Si nous en distrayons une partie, nous ne sommes plus que de misérables tire-laine. Guise nous chasse…
— Et que m’importe ! gronda Maurevert.
— Oui, mais il m’importe beaucoup, à moi !… Suis bien mon plan : nous nous adjoignons quelques hardis compagnons ; ce soir, nous revenons en force au moulin ; nous nous emparons des fameux sacs ; nous les transportons à l’hôtel de Guise. Et alors, je dis au duc : Monseigneur, l’argent est là. Pour moi, je ne demande rien. Mais il faut deux cent mille livres pour Maurevert. Sinon, il est capable de crier tout haut comment vous avez trouvé les millions qui vont vous permettre de lever une armée… Crois-tu que Guise te refusera cette somme ?…
Maurevert ne répondit pas : il réfléchissait à cette proposition.
— C’est tout ce que je puis faire, dit Maineville. Si tu essayais de prendre toi-même, à mon grand regret, Maurevert, je serais forcé de te tuer…
— Eh bien, oui ! Tu as raison !…
— Ainsi, nous faisons comme j’ai dit ?
— De point en point, fit Maurevert. A ce soir, donc !…
— Bien, cher ami. Seulement, d’ici ce soir, tu ne me quittes pas, voyons ! Mon Dieu, je me mets à ta place, va, et je comprends qu’en ce moment tu aies fort envie de m’étriper, puis de courir au moulin. Mais mets-toi à la mienne, Maurevert, et tu comprendras de ton côté que je sois décidé à te couper la gorge, à toi, mon meilleur ami ; que veux-tu… je n’ai pas de faiblesse d’esprit, tu le sais bien, et s’il s’agissait de piller tout autre que Guise, je serais ton homme. Mais que suis-je, moi ? Le dogue d’Henri. Si on approche mon duc, je grogne. Si on veut toucher à sa pitance, je sors mes crocs. Restons amis, Maurevert.
Maineville venait de parler avec toute sa sincérité de reître [11] qui s’est vendu corps et âme à un maître et mourra pour ce maître, à moins qu’il n’en trouve un qui lui rachète plus cher ce corps et cette âme. Il était admirable de franchise violente. Tandis qu’il tendait sa main droite ouverte en signe d’amitié, de la gauche il serrait le manche de son poignard, prêt à frapper.
Ce genre de dévouement sauvage que Maineville professait pour son maître était commun à cette époque : un bravo était fidèle, et quand il passait au camp ennemi, il y portait la même fidélité ; seulement il prévenait le maître de la veille qu’il eût à ne plus compter sur lui.
— Eh bien, soit ! dit Maurevert. Je ne te quitterai pas d’ici ce soir ; et bien que ton soupçon m’offense, voici ma main ; restons amis, Maineville !
Les deux bandits échangèrent une poignée de main que nous n’hésitons pas à qualifier de loyale.
— Mais, reprit Maurevert, il est entendu que tu te fais fort de m’obtenir deux cent mille livres ?
— Par la barbiche du pape Sixte, qui devient malgré lui notre pourvoyeur, je te le jure, Maurevert ! Il faudra que Guise t’ouvre les cordons de l’un de ces jolis sacs de blé. En sorte que tu pourras dès demain prendre ton vol vers d’autres pays, ce qui me chagrinera dans l’amitié que je te porte, mais ce qui me réjouira pour la paix que tu y gagneras. Sur ce, allons rendre compte à mon duc, et préparer notre expédition.
Ils s’éloignèrent rapidement vers Paris. Alors, du fond de la haie touffue qui bordait un champ d’avoine, et dont les ronces s’écartèrent doucement, une tête pâle apparut avec un sourire qui eût épouvanté Maurevert, et deux yeux ardents se fixèrent sur les deux hommes jusqu’à ce qu’ils eussent tourné au premier détour du chemin. Puis le corps à qui appartenait cette tête, ou, si l’on veut, qui appartenait à cette tête, sortit en rampant, se redressa, et le chevalier de Pardaillan demeura à cette place, immobile et pensif.
— Cette fois, murmura-t-il, je crois que je le tiens !…
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Chapitre 19 LE MEUNIER
P ardaillan avait suivi Maineville et Maurevert dès l’instant où il les avait aperçus. Au-delà de la porte Saint-Honoré, il avait laissé Angoulême et ses deux nouveaux laquais qui l’attendirent en se dissimulant derrière une masure. De loin, il avait
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