La Fausta
qu’ils aient eu le temps de…
Il plongea sa main au fond du sac et, ayant constaté que son contenu métallique était toujours en place, il se rassura, rechargea le sac sur le mulet et rejoignit ses camarades au moulin. Au pied de la butte, contre une haie vive, Maurevert et Maineville s’étaient arrêtés.
— Trente mulets chargés d’or ! dit Maurevert. Car il est évident que les vingt-neuf premiers sacs contiennent au fond ce que contient le trentième.
— Oui… il y a peut-être là plusieurs millions, dit Maineville pensif.
— Maineville !…
— Maurevert !…
Les deux agents de Guise se regardèrent. Maurevert était livide. Maineville paraissait calme. Il y eut une minute de silence. Puis Maineville posa sa main sur l’épaule de Maurevert et dit :
— Je te comprends, camarade. Tu veux dire que si nous voulions, au lieu de prévenir notre duc, nous pourrions conquérir deux ou trois de ces sacs. Et alors, nous aurions chacun une fortune à faire envie à d’Epernon lui-même. Mais voyons, si cela était, que ferais-tu de cet or ?
Maurevert jeta autour de lui un regard inquiet ; il lui avait semblé que la haie venait de s’agiter. Mais sans doute c’était le vent qui bruissait dans les feuilles… car il n’y avait personne. Du moins, il ne vit personne.
— Ce que je ferais, dit-il alors, je partirais, Maineville ! Je commence à me fatiguer de la guerre et des aventures. Et puis j’ai éprouvé l’ingratitude des grands. J’ai servi Charles IX, et Charles IX m’a oublié. J’ai servi Catherine de Médicis et lui ai rendu un de ces services qui sauvent une dynastie. La vieille Médicis m’a laissé gueux comme devant. J’ai servi enfin les Lorrains. Notre grand Henri m’a promis monts et merveilles. Et toujours j’attends que ces promesses sortent du domaine des rêves pour entrer dans celui des réalités. Si j’avais deux cent bonnes mille livres à moi, Maineville, je m’en irais ! Où ? Je ne sais… mais l’air de Paris ne me vaut rien pour le moment. Je n’ose plus m’y promener par les rues, de crainte d’y rencontrer…
— Quoi donc ? fit Maineville.
— Rien : un spectre. Tu ne crois pas aux revenants ? J’y crois, moi ! J’en ai vu un…
Et Maurevert frissonna comme frissonnaient les feuilles de la haie qui à ce moment s’agitaient de nouveau.
— Des spectres ! dit Maineville en haussant les épaules, quand j’en ai rencontré, je m’en suis débarrassé d’un bon coup de dague.
— J’ai essayé ! Mais mon spectre à moi a l’âme chevillée au corps. L’autre soir, j’ai mis deux truands à ses trousses…
— Eh bien ?
— Eh bien ! il a pris les truands chacun sous un de ses bras et les a emportés…
Maurevert passa une main sur son front.
— On dirait que tu as peur ! ricana Maineville. Moi, je n’ai peur de rien !
— Peur ! fit sourdement Maurevert. Tu me connais. Tu m’as vu dans vingt rencontres. Je me suis battu avec les plus terribles des Quarante-Cinq. Bussi-Leclerc déclare lui-même qu’il ne voudrait pas avoir affaire à mon épée. J’ai répandu mon sang, risqué ma vie mille fois dans les embuscades nocturnes et dans les combats au grand soleil. J’ai regardé la mort en face… Je n’ai jamais tremblé… Eh bien, Maineville, toutes les fois que je songe à cet homme, je sens un froid de glace me pénétrer jusqu’aux moelles ; si je suis dans la rue, je me hâte de rentrer ; si je suis chez moi, je me barricade !… Oui, Maineville, j’ai peur de cet homme !… Peur au point que je me tuerais pour échapper à cet horrible sentiment.
Maineville ne riait plus.
— Il faut que je me sauve, reprit sourdement Maurevert, que je m’en aille au bout du monde, s’il le faut… que je connaisse enfin la joie que je ne connais plus depuis seize ans ; dormir tranquille, n’avoir à redouter que des batailles, des coups, ou même la mort… oublier cet homme !… Et pour cela, il me faut de l’argent !… Maineville, qu’est-ce que deux cent mille livres ?… Laisse-moi les prendre…
— Ecoute, dit alors Maineville… De grandes choses se préparent. Le duc sera roi de France. La grande conspiration commencée il y a bien longtemps… tu en étais, Maurevert… c’était à l’époque de la grande tuerie de huguenots. Eh bien, cette conspiration va aboutir. Que manque-t-il ? Presque rien : un peu d’or pour lever des hommes, réduire le Béarnais et forcer le Valois dans
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