La fée Morgane
fût pas d’une exceptionnelle prouesse. Il
parvint, grâce à sa jeunesse et à sa vivacité, à le dominer dans ce duel. Et, quand
le chevalier s’apprêta à rentrer dans la chambre où il était allé, semblait-il,
se régénérer, Bohort lui barra le passage. « Par la Sainte Croix, seigneur
chevalier, s’écria-t-il, tu ne mettras plus les pieds dans cette chambre ! »
Il le prit par le heaume, le lui arracha de la tête, mit le chevalier sous lui
en lui sautant sur le corps et le menaça de lui enfoncer son épée dans le cou s’il
ne s’avouait pas vaincu et s’il ne lui promettait pas de se rendre prisonnier
là où il l’exigerait. L’autre ne répondant pas, il accentua sa pression.
Il faisait très clair dans la salle. Toutes les fenêtres
étaient ouvertes et la lune envoyait ses rayons par plus de cent endroits. Le
chevalier, se voyant en péril de mort, finit par implorer la clémence de son
vainqueur. « Je ne sais pas qui tu es, lui dit Bohort. Je ne t’ai jamais vu,
que je sache. Il faut me jurer, en loyal chevalier, que tu seras le jour de la
Pentecôte à la cour du roi Arthur, où qu’il la tienne, et là, tu te rendras au
roi de la part de Bohort de Gaunes. » Le vaincu en fit un serment solennel,
contraint et forcé qu’il était. Puis, il ramassa son heaume et son bouclier et
s’en retourna d’où il était venu, n’ayant pas pris la peine de dire son nom et
pour quelle raison il avait ainsi attaqué Bohort. Celui-ci commençait à se
demander ce que signifiaient les fantasmagories qui l’assaillaient ainsi. Et
surtout, il se demandait ce qu’il y avait à l’intérieur de la chambre où le
chevalier était allé reprendre des forces. Il essaya une nouvelle fois d’ouvrir
la porte, mais il ne put y parvenir.
De guerre lasse, Bohort revint s’asseoir sur le lit. Aussitôt,
des javelots et des flèches se mirent à pleuvoir depuis chaque fenêtre et l’accablèrent
de telle sorte que son haubert et son bouclier furent atteints en de multiples
endroits. Il évita de bouger, se contentant de se protéger du mieux qu’il
pouvait, restant assis sur le lit, aussi ferme et assuré que s’il n’avait aucun
mal, et il attendit ce qui allait arriver car il était bien persuadé que tout
cela n’était pas fini et qu’il verrait encore bien d’autres aventures. Quand
prit fin la pluie de javelots et de flèches, les fenêtres se refermèrent et
firent alors un fracas tel qu’on aurait dit que le palais allait s’écrouler. Il
faisait sombre maintenant, car la clarté de la lune ne pénétrait plus que par
quelques fenêtres qui étaient restées ouvertes.
Le calme revint au bout d’un moment, et tout demeura silencieux,
comme si rien ne s’était passé. Mais Bohort, qui guettait le moindre bruit et
le moindre mouvement, aperçut, sortant de l’une des chambres, un lion d’une
taille surprenante. L’animal s’avança vers Bohort à petits sauts, la gueule
béante, dans l’intention évidente de le dévorer à belles dents. Devant ce nouveau
danger, Bohort bondit vers lui et, se protégeant habilement de son bouclier, il
brandit son épée pour en frapper la bête. Mais le lion s’élança, les crocs et
les griffes en avant, afin de saisir l’homme par le haubert. Il atteignit le
bouclier et en déchira un pan comme s’il s’agissait d’une simple étoffe. Il s’en
fallut de peu que Bohort ne fût renversé par la violence du choc mais, heureusement,
il s’arc-bouta de toute son énergie, leva son épée et frappa le lion sur les
oreilles et la tête, lui traversant le cou de part en part. La bête tomba morte
sur le pavement.
Bohort était revenu sur le lit et reprenait son souffle à
grand-peine. C’est alors qu’il vit surgir on ne sait d’où un serpent énorme et
hideux capable de provoquer la panique chez les plus courageux d’entre les
hommes : il était bariolé de couleurs, et avait les yeux aussi rouges et
embrasés que des charbons ardents. Il s’avançait lentement sur le plancher de
la salle, jetant feu et flammes, mais modérément, et en faisant tournoyer sa
queue comme il l’aurait fait d’un fouet. Sur son front, se trouvait une
inscription que Bohort put lire sans peine grâce à l’éclat qui émanait de ses
yeux : « Voici la figure symbolique du roi Arthur. » Bohort fut
bien étonné de lire une telle inscription, et il se ramassa sur le lit, tous
les sens en alerte, persuadé que tout ce qu’il voyait n’était qu’un
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