La fée Morgane
qu’il voudra ! »
En entendant la voix lamentable qui s’exprimait ainsi et en
regardant le visage maintenant découvert de celui qu’il avait vaincu, Arthur
devint pensif : il se demandait où et quand il avait vu ce chevalier.
« Tu peux maintenant le dire sans crainte, qui es-tu donc, de quel pays et
de quelle cour ? – Seigneur chevalier, murmura le blessé, je suis de la
cour du roi Arthur et mon nom est Accolon de Gaule. »
L’étonnement d’Arthur fut à son comble. Était-ce là le compagnon
avec lequel il était allé à la chasse l’autre jour et avec lequel il avait vécu
l’aventure du navire où les avaient accueillis les douze jeunes filles ? Il
comprit alors qu’ils avaient tous été trompés par les sortilèges de sa sœur
Morgane. Il se pencha sur Accolon : « Seigneur chevalier, dit-il, au
nom de Dieu tout-puissant, je te prie de me répondre : qui t’a donné cette
épée ? – Cette épée m’a apporté le malheur alors que je croyais qu’elle me
procurerait la joie ! – Mais, reprit Arthur, tu n’as pas répondu à ma
question. – Je vais tout te dire, seigneur. C’est Morgane, la sœur du roi
Arthur, femme du roi Uryen, qui me l’a fait apporter hier par un nain. Elle m’avait
fait jurer que je m’en servirais un jour pour combattre son frère le roi, car
son frère est l’homme qui s’oppose le plus à sa puissance. Elle m’avait dit
également que lorsqu’elle apprendrait la mort d’Arthur, elle s’arrangerait pour
faire disparaître son époux le roi Uryen. Et comme j’étais son amant, elle
aurait fait de moi son roi et nous aurions gouverné le royaume en attendant de
dominer le monde, elle par ses sortilèges, et moi par ma vaillance et ma
prouesse. – Pauvre fou ! s’exclama Arthur. Je suis persuadé qu’elle se
serait débarrassée de toi comme des autres. Jamais Morgane n’accepterait de partager
son pouvoir avec un autre, fût-il son amant ou son époux ! Tu es tombé
dans ses pièges, chevalier, et peu s’en faut que j’y sois tombé, moi aussi !
– Mais, dit Accolon, le destin ne l’a pas voulu ainsi. Alors que cette épée
devait me servir à lutter contre le roi, le hasard a fait que j’ai dû accepter
ce combat par reconnaissance envers un hôte qui ne pouvait l’entreprendre !
Je suis bien puni de mon orgueil, je le sais bien, et la seule consolation que
je puisse avoir, c’est de ne pas avoir tué mon seigneur légitime, le roi Arthur
de l’île de Bretagne ! – Tu ne pourrais mieux dire ! dit Arthur. – Je
t’ai dit la vérité, reprit Accolon. Maintenant, avant de mourir, je veux entendre
de toi ton nom, d’où tu viens et quel est ton seigneur. – Oh ! Accolon, dit
Arthur tristement, je ne peux pas te cacher que je suis le roi Arthur à qui tu
causas tant de dommage et que tu voulais tuer sur l’instigation de ma sœur ! »
Quand Accolon entendit ces paroles, il se mit à pleurer et à
se lamenter : « Beau doux seigneur ! s’écria-t-il, j’implore ton
pardon et ta grâce. Je ne savais pas que c’était toi ! – Certes, Accolon, je
t’accorde mon pardon parce que je sens, par tes paroles, que tu ne savais pas
qui j’étais. Mais, d’après tout ce que tu m’as révélé, je comprends bien que tu
avais accepté d’être responsable de ma mort. Tu peux donc être accusé de
traîtrise. Je ne t’accablerai cependant pas, car je me doute bien que c’est ma
sœur Morgane qui, par ses charmes et ses ruses, a arraché ton consentement. Elle
veut toujours se venger de moi parce que je suis son cadet et qu’elle m’accuse
d’avoir confisqué le pouvoir à son détriment. Pourtant, Dieu m’est témoin que j’ai
toujours été faible et tolérant envers elle, et généreux également, plus qu’envers
aucun autre de mes parents, et que j’ai eu confiance en elle davantage qu’en
quiconque dans ce royaume, plus en tout cas que dans ma propre épouse. Comme
tout cela est triste et décevant et comme c’est difficile à supporter ! »
Arthur appela alors les douze chevaliers qu’on avait fait
juges du combat. « Seigneurs, leur dit-il, vous avez été les témoins de ce
qui s’est passé. Deux chevaliers ont combattu en se faisant grand dommage l’un
à l’autre, et si l’un d’eux avait pu causer la mort de l’autre, il l’aurait
fait. Mais aucun de nous deux ne savait qui était l’autre. Alors, je déclare
que ce combat n’a pas eu lieu, car il était sans objet. » Ce fut au
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