La fée Morgane
tour d’Accolon
de parler à ceux qui se rassemblaient autour de lui : « Seigneurs, dit-il,
ce noble chevalier que j’ai combattu, à qui j’ai causé de grandes blessures et
qui m’a frappé si durement, c’est le meilleur et le plus capable de prouesses
de tous les hommes de ce temps. Sachez, seigneurs, que c’est le roi Arthur, notre
seigneur légitime à tous. C’est grand malheur et grande honte que j’en sois
arrivé à le combattre ainsi, et je m’en repens amèrement. Quant au sort qui
sera le mien, je l’accepte par avance, en châtiment de la grande faute que j’ai
commise. » Quand les gens apprirent que le vainqueur était le roi Arthur, ils
plièrent tous le genou et lui demandèrent sa grâce.
« Vous n’avez pas à demander grâce, s’écria Arthur, car
vous n’êtes pour rien dans cette aventure, sauf Damas et son frère Onslak. Encore
faut-il reconnaître qu’ils ont été victimes des mêmes manigances qu’Accolon et
moi-même. Sachez que si j’ai été blessé et presque sur le point de perdre, c’est
parce que je n’avais pas ma bonne épée Excalibur, et qu’elle m’avait été ravie
par ruse et trahison. La bataille avait été prévue et organisée pour que je
fusse vaincu et tué. – Par Dieu tout-puissant, dit Onslak, c’est grande pitié
qu’un homme aussi noble que toi ait failli périr de trahison. Que pouvons-nous
faire pour toi, roi Arthur ? – La première chose, répondit Arthur, c’est
que toi, seigneur Onslak, tu te réconcilies avec ton frère Damas, que tu t’entendes
avec lui pour partager l’héritage légitime qui est le vôtre et gouverner en
paix ce pays. J’exige de vous un serment : que jamais plus vous ne luttiez
l’un contre l’autre. »
Damas et Onslak s’avancèrent et devant tous les chevaliers
et les gens du pays, ils jurèrent de s’accorder et de vivre désormais en bonne
intelligence. Alors Arthur reprit la parole : « La deuxième chose que
vous pouvez faire, c’est de prendre soin de ce chevalier que j’ai vaincu, et de
moi-même qui suis blessé et ai besoin de repos. – C’est chose facile, dit
Onslak ; il y a non loin d’ici une abbaye où vous pourrez être accueillis. »
On fit une civière pour emporter Accolon. Quant à Arthur, il prit soin de
remettre son épée Excalibur à sa ceinture, puis il remonta sur son cheval et
dit adieu à tout le peuple assemblé. Quand ils furent arrivés à l’abbaye, ils
furent soignés, pansés et réconfortés. Mais Accolon avait perdu trop de sang
pour guérir : il mourut quatre jours plus tard tandis qu’Arthur se
remettait lentement de ses blessures.
Quand Accolon fut mort, Arthur le fit mettre en bière et ordonna
à six chevaliers de le transporter jusqu’à Carduel. « Vous le remettrez à
ma sœur, la reine Morgane, dit le roi, et dites-lui que c’est un présent de ma
part. Vous lui direz également que j’ai retrouvé mon épée Excalibur. » Les
chevaliers partirent aussitôt pour Carduel qui était à deux jours de marche.
Cependant, à Carduel, Morgane pensait que son plan avait
parfaitement réussi, et que le roi Arthur était mort dans son combat contre
Accolon de Gaule. Les pensées les plus perverses lui traversaient l’esprit et
elle sentait confusément qu’elle serait bientôt la grande reine d’un royaume
qui s’étendrait jusqu’où pouvait aller son regard. Et le regard de Morgane
était perçant, si perçant que parfois ses familiers en avaient peur. Elle n’avait
point de remords : elle savait qu’Arthur avait été conçu la nuit même où
son propre père à elle avait été tué, cette nuit terrible où sa mère, la reine
Ygerne, avait été abusée par les maléfices de Merlin. Celui-ci avait bien usé
de ses sortilèges ; ne pouvait-elle pas en abuser, elle aussi, à qui le
même Merlin avait appris tant de choses que ne pouvaient connaître les autres ?
Morgane savait qu’elle était la plus forte et qu’elle ferait mettre à genoux
les grands vassaux du royaume aussi facilement que lorsqu’ils avaient fait leur
soumission à Arthur. Mais il restait un obstacle à vaincre, le roi Uryen, qu’elle
avait cru dominer en l’épousant et qui contrait tous ses projets.
Elle épiait Uryen, espérant profiter de la moindre occasion.
Or, ce jour-là, Uryen s’était fait dresser un pavillon dans un verger, non loin
de la forêt, et comme la chaleur était forte, il s’était couché sur un lit pour
se reposer et s’était
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