La fée Morgane
frère aussi valeureux qu’Hector des Mares. »
Ils cheminèrent encore longtemps dans la forêt et, bientôt, ils
aperçurent une forteresse au milieu des marais. « C’est là que fut
engendré ton frère, dit le jeune chevalier, et je peux t’y mener si tu le
désires. – Volontiers, dit Lancelot. – Dans ce cas, attends-moi ici jusqu’à mon
retour. Je ne m’attarderai guère. » Lancelot descendit de cheval et s’assit
au pied d’un arbre. Le jeune chevalier s’en alla à toute allure vers le château
et trouva un homme de bonne tenue, qui était le frère de la mère d’Hector. Ils
se saluèrent. « Cher cousin, dit le jeune chevalier, ne sois pas courroucé
par ce que je vais te dire : il y a là le meilleur chevalier du monde qui
désire entrer dans cette demeure. Mais comme je sais que tout étranger doit
combattre pour forcer le passage du pont, je te prie de ne pas t’obstiner. Brave
comme il est, tu ne pourrais pas facilement lui tenir tête, – Qui est donc ce
meilleur chevalier du monde ? – C’est Lancelot du Lac. – Certes, mais tu
sais bien que je ne peux déroger à la coutume. Je ferai donc semblant de le
combattre, car je n’espère pas l’emporter sur lui. »
Le jeune chevalier revint vers Lancelot et lui expliqua la
coutume : tout étranger devait combattre afin de forcer le passage du pont.
Lancelot remonta en selle et se dirigea vers le pont. Le gardien, à son
approche, sauta sur son cheval et vint à sa rencontre. « Si tu veux passer,
dit-il à Lancelot, qui que tu sois, tu devras me combattre et me vaincre. – Puisqu’il
en est ainsi, répondit Lancelot, je me battrai contre toi. » Ils
abaissèrent leurs lances et se heurtèrent avec une telle violence que celle du
défenseur se brisa. « Je m’avoue vaincu, dit-il, en sautant de son cheval.
Tu peux donc entrer si tu le veux. Je serai à ton entière discrétion. – Fort
bien, dit Lancelot, conduis-moi. » Et Lancelot suivit le gardien du pont
qui l’emmena à l’intérieur du château. Il avait en effet grand désir d’en
apprendre davantage sur Hector et sur lui-même.
Quand ils furent à l’entrée de la grande salle, l’homme s’effaça
pour laisser passer Lancelot le premier. Puis, il s’écria : « Chère sœur,
je t’amène mon seigneur Lancelot, le meilleur chevalier du monde, qui est le
frère de ton fils Hector. Accueille-le d’un cœur joyeux comme tu le dois à un
aussi noble parent. » Une femme encore très belle s’avança vers lui et il
la salua. Elle le fit désarmer et quand il eut le visage découvert, elle crut
voir le roi Ban en personne, ce qui la bouleversa grandement. Quiconque eût vu
en effet le roi Ban, puis Lancelot, n’aurait pu douter qu’Hector fût le fils du
roi de Bénoïc, tant la ressemblance était frappante. La femme prit Lancelot
dans ses bras, pleurant de joie et d’émotion, et elle l’emmena dans une petite
salle attenante.
« Seigneur, dit-elle enfin, je ne suis pas surprise que
tu sois un brave et preux chevalier puisque tu es le fils du meilleur chevalier
de son temps, le roi Ban de Bénoïc. » La dame s’assit sur la jonchée qu’on
avait étalée dans la salle et invita Lancelot à y prendre place. Au cours de
leur entretien, il la pria de lui dire toute la vérité à son sujet et à celui d’Hector.
« En effet, dit-il, on m’a laissé entendre qu’Hector serait mon frère. Si
cela était vrai, j’en aurais grande joie. – Par Dieu tout-puissant, répondit la
dame, Hector est bien ton frère : il a été engendré par Ban de Bénoïc. »
Elle entreprit alors de lui détailler les circonstances dans lesquelles le roi
Ban et le roi Bohort de Gaunes avaient passé la nuit dans ce château. « De
plus, dit-elle encore, je vais te montrer un objet que tu connais bien. »
Elle s’en alla dans sa chambre, ouvrit un écrin et en tira
un anneau d’or orné d’un saphir où étaient sculptés deux serpenteaux. Retournant
près de Lancelot, elle lui dit : « Seigneur, vois-tu cet anneau ?
– Certes, oui, dame. – Le roi Ban me l’a donné quand il quitta ce pays, et il
me dit que la reine, ta mère, lui en avait fait présent, et qu’il en avait un
autre absolument identique. Je sais qu’il m’a dit la vérité, car récemment, alors
que je chevauchais à travers le pays d’Armorique, mon chemin me conduisit au
Moutier Royal où se trouve enterré ton père. Je fus reçue là par des
religieuses et, parmi elles, je
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