La fée Morgane
reconnus la reine, ta mère, la dame la
meilleure et la plus sainte qui soit au monde. Je me fis connaître à elle, lui
dis qui j’étais et de quel pays. Elle me posa des questions sur toi, Lancelot, cet
enfant que la Dame du Lac lui a ravi, et je lui appris ce que j’avais entendu
dire, bien que je ne t’eusse jamais encore vu, à savoir que tu étais le
meilleur chevalier qui fût. Or, j’avais cet anneau à mon doigt. Elle le vit et
me demanda qui me l’avait donné. J’avais honte et je ne voulais pas lui
répondre, mais elle m’avoua qu’elle savait de qui je l’avais eu. Puis, elle me
montra l’anneau qu’elle avait au doigt, et qui était identique à celui-ci. Ainsi,
j’ai su que ton père avait dit la vérité. »
Cette révélation combla Lancelot d’un plus grand bonheur que
si on lui avait donné la meilleure cité du roi Arthur en possession. Cette
nuit-là, il y eut liesse et réjouissances au Château des Mares afin de fêter la
présence de Lancelot du Lac. Mais la dame était pressée d’être fixée sur le
sort d’Hector qu’elle n’avait pas vu depuis plus d’une année. Lancelot lui dit
qu’il l’avait rencontré en parfaite santé deux mois à peine auparavant. Au soir
tombant, on fit dresser les tables et l’on se restaura et but dans une ambiance
joyeuse. Puis, quand ce fut l’heure d’aller dormir, on prépara pour Lancelot un
lit très confortable, comme il convenait à un tel personnage. Il se coucha et s’endormit
aussitôt pour ne se réveiller qu’au matin, une fois le soleil levé depuis
longtemps. Il s’habilla, fit ses préparatifs et entendit la messe dans la
chapelle du château. Revenu dans la salle, il trouva de nouveau les tables
mises : on ne voulait pas qu’il partît sans se restaurer. On se mit donc à
table aussitôt.
Après un repas sans hâte, Lancelot se leva et demanda ses
armes. « Ah ! seigneur, lui dit-on, par Dieu tout-puissant, reste
encore cette journée ! – Je ne peux, répondit-il, j’ai beaucoup trop à
faire. » Une fois armé et en selle, il quitta le château, et la dame
chevaucha un moment à ses côtés en lui demandant de veiller sur son frère
Hector. « Si Dieu m’accorde de le trouver, dit-il, je ne me séparerai pas
de lui de longtemps, à moins d’empêchement. » On lui fit la conduite un
bon bout de chemin. Il marqua alors une halte et, refusant d’être accompagné
plus loin, les recommanda tous à Dieu. « Cher doux seigneur, dit la dame à
son départ, par Dieu et l’âme de ton père, pense à Hector, ton frère et mon
fils. – Je ne l’oublierai pas », promit Lancelot. Et quand il les eut
quittés, il sentit que ses yeux étaient remplis de larmes.
Il continua son errance. Le soir, il fut accueilli par un
ermite qui lui fit partager son modeste repas et, le lendemain, il accompagna
une jeune fille qui ne se sentait guère rassurée dans ces pays désertiques. Ils
s’arrêtèrent un moment auprès d’une source d’où sourdait une eau fraîche et
limpide. Et comme ils conversaient, se reposant des ardeurs du soleil, ils
virent venir sur le grand chemin de la forêt des chevaliers, des dames et des
jeunes filles. « Réjouis-toi, Lancelot, dit la jeune fille qu’il accompagnait,
car tu vas bientôt voir, je le pense, un être de ta parenté que tu n’as encore
jamais vu. – Qui donc ? demanda Lancelot. – Tu le sauras bientôt, avant
même d’être parti d’ici. »
Quand la troupe arriva près de la fontaine, chevaliers et serviteurs
accoururent pour aider à mettre pied à terre une jeune femme qui devait être
leur dame, et ils la firent descendre du char où elle était. Le char était
couvert d’une soie vermeille afin de protéger les voyageurs de la chaleur. Quand
la dame fut descendue, ils la conduisirent là où se trouvait Lancelot. Dès que
celui-ci l’aperçut, il se leva devant elle, très respectueux de sa beauté et de
sa noblesse. « Cher doux seigneur, lui dit-elle, reste assis, car tu dois
être plus las et fatigué que moi. » Lancelot se rassit à côté de la
fontaine et elle prit place près de lui. « Apportez-moi Hélain le Blanc »,
dit-elle à ses suivantes.
Elles s’en allèrent au char et prirent un petit enfant qu’une
jeune femme tenait dans son giron et elles apportèrent à leur dame. L’enfant
était tout jeune et ne devait pas avoir plus de deux ans. Lorsqu’il fut dans les
bras de la dame, elle lui baisa les yeux et la bouche et lui fit
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