La fée Morgane
telle sorte que celui de Lancelot s’y
heurta. « Pourquoi pars-tu si vite ? demanda Morgane en riant. Je ne
vais pas te manger ! Aurais-tu peur des femmes ? » Elle disait
cela par provocation car, bien que le chevalier eût le visage caché par son
heaume, elle l’avait reconnu et savait que c’était Lancelot. « Seigneur
chevalier, dit-elle encore, ne veux-tu vraiment pas me dire ton nom ? – Je
ne le ferai pour rien au monde, répliqua Lancelot d’un ton sec. – Fort bien, reprit
Morgane. Alors, chevalier, puisqu’il en est ainsi, c’est au nom de l’être qui t’est
le plus cher que je te demande d’ôter ton heaume et de découvrir ton visage ! »
Lancelot savait qu’il était pris au piège. Il ne pouvait
refuser de se découvrir puisqu’elle l’en avait prié au nom de l’être qui lui
était le plus cher. Il aurait commis un crime impardonnable vis-à-vis de
Guenièvre. D’un geste rageur, il arracha son heaume. Morgane fit mine de s’étonner :
« Quoi ? C’était donc toi, Lancelot ? dit-elle avec une ironie
cinglante. Je me demande bien pourquoi tu ne voulais pas dire qui tu étais. Nous
nous connaissons depuis si longtemps que nous sommes devenus des familiers, n’est-il
pas vrai ? » Lancelot bouillait d’impatience. « Si tu n’étais
pas une femme, Morgane, s’écria-t-il, je n’aurais pas tant d’égards envers toi.
Je te connais trop : tu es fausse et il n’y a en toi que traîtrise et
déloyauté ! – C’est ton opinion, Lancelot, mais ce n’est peut-être pas
celle des autres. D’ailleurs, je sais qu’un jour tu devras réviser ton jugement !
– Je ne souhaite qu’une chose, répliqua Lancelot, c’est qu’un jour quelqu’un te
tienne dans ses mains pour débarrasser la terre de ta présence ! »
Morgane se mit à rire. « Cet homme dont tu parles, ne voudrais-tu pas par
hasard que ce fût toi ? » Il ne répondit rien mais, par un léger
mouvement, il amena son cheval hors de portée de Morgane et s’engouffra dans
Kamaalot. Morgane, le visage crispé, le regarda s’éloigner. « Nous nous
retrouverons », murmura-t-elle. Puis, elle cingla son cheval et partit au
galop.
Il y avait eu des joutes sur la prairie, devant la
forteresse, et les chevaliers qui y avaient participé s’étaient regroupés dans
la grande cour. C’est là que Lancelot retrouva ses compagnons qu’il n’avait pas
vus depuis longtemps. Le roi Arthur vint au-devant de lui et manifesta sa joie
de le voir de retour. Il en fut ainsi de Gauvain, d’Yvain, de Kaï, de Bohort et
de bien d’autres. Quant à la reine, quand elle vit qu’il était sain et sauf, elle
courut à lui, les bras tendus, se jeta à son cou et lui fit fête en présence de
tous les gens du château. Quand il eut enlevé son armure, les chevaliers qui
avaient jouté toute la matinée en firent de même et changèrent de vêtements. Alors,
en grand apparat, la couronne royale sur la tête, Arthur s’en alla en
procession vers Saint-Étienne, qui était la principale église de Kamaalot. Il ouvrait
le cortège, suivi immédiatement de la reine Guenièvre, des rois et des ducs et
selon leur importance de la noblesse de leur lignage.
Quand Lancelot entra dans l’église, la première chose qu’il
vit fut la peinture qui représentait le dragon dont avait parlé le vieillard
tué par Mordret. Il fut très angoissé, car cela prouvait que la prédiction
était vraie. Il était affligé, désemparé, hanté par l’idée qu’un homme de si
illustre lignage qu’Arthur serait détruit par la faute de son propre fils. Comment
éviter une telle catastrophe ? Ce n’était possible qu’en supprimant
Mordret, mais alors il serait en butte à la haine de toute sa parenté, ce qu’il
ne voulait en aucune façon. Il demeurait absorbé dans ses pensées, indifférent
à ce qui se passait autour de lui, mais ses yeux ne pouvaient se détacher de l’image
du dragon. Il demeura ainsi immobile pendant tout le temps que dura le service,
et la reine finit par s’apercevoir qu’il était agité de sombres pensées. Elle
décida de le questionner, dès qu’elle pourrait se trouver seule avec lui.
Cependant, lorsque la messe fut célébrée, les rois et les
comtes regagnèrent la grande salle du palais, trouvèrent les tables mises, et, après
s’être lavé les mains, s’assirent chacun à leur place. Ce jour fut marqué de
joie, car on constata que des cent cinquante chevaliers que comportait à
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