La fée Morgane
au
feu, redoutant que ce feu n’atteignît Lancelot, et ils lui conseillèrent de ne
pas bouger, de peur de brûler à son tour. « Je ne ferai pas un geste, répondit-il,
puisque toutes les places sont occupées autour de la table. » Et, grâce à
son sang-froid, il ne subit aucun dommage, ce qui réconforta l’assistance. Quand
tout fut terminé et qu’il ne resta plus rien du chevalier, le roi déclara
devant tous qu’il n’avait jamais assisté à un phénomène aussi surnaturel.
« Je savais bien, dit-il, que le Siège Périlleux nous réserverait des
surprises. En voilà une, mais je pense que nous en verrons d’autres. »
Il pria Lancelot de regarder la lettre que le chevalier lui
avait donnée, d’en examiner le contenu et de la lire à haute voix. Lancelot
tira donc la lettre de l’étui de satin qui l’enveloppait, et, dans un grand
silence, il entreprit de la lire à l’usage de tous. Et voici ce que contenait
cette missive : « Que tous les compagnons de la Table Ronde sachent
que le jour de Pâques, récemment, à la cour du roi Brian d’Irlande, de jeunes
chevaliers en vinrent à parler de Lancelot du Lac et prétendirent qu’il était
le chevalier le plus hardi du monde. Tous en tombèrent d’accord, sauf Brumant, le
neveu du roi Brian, qui ne voulut pas en convenir et soutint qu’il en était de
bien plus hardis. Et Brumant expliqua que Lancelot n’était certainement pas le
plus hardi parce qu’il occupait à la Table Ronde le siège le plus proche du
Siège Périlleux et qu’il n’avait jamais osé s’y asseoir. S’il avait été le chevalier
le plus valeureux du monde, il aurait eu le courage de s’y installer : il
aurait ainsi éclairé les uns et les autres sur ce qui est objet de contestation,
car les uns disent que c’est le meilleur chevalier du monde, et les autres, qu’il
ne l’est pas. Grâce à ce siège, il aurait pu les tirer du doute. Aussi peut-on
dire qu’il manque de hardiesse, puisque cette épreuve est paraît-il supérieure
à toutes les autres. C’est pourquoi Brumant, voulant prouver que Lancelot lui
était inférieur en prouesse, promit solennellement de s’asseoir, le jour de la
Pentecôte, sur le Siège Périlleux, au risque de sa vie. Car il n’appartient qu’à
Dieu de juger la valeur des humains. »
« Quelle extraordinaire aventure ! s’écria le roi
Arthur après la lecture de la lettre. Par Dieu tout-puissant, je n’appelle pas
hardiesse ce qu’a fait ce chevalier, mais bien plutôt folie. Nous savons tous, depuis
que nous l’a enseigné Merlin, que ce siège est réservé à un unique chevalier
qui surpassera en mérites et prouesses tous ceux qui, avant lui, auront porté
les armes. Dès qu’il entrera ici, comme l’a prédit Merlin, son nom sera inscrit
sur le Siège Périlleux. Or, il ne l’est pas encore et ne le sera qu’à l’arrivée
du Bon Chevalier, celui qui mettra un terme aux aventures du Saint-Graal. C’est
pourquoi je dis que ce chevalier a été plus insensé que hardi et qu’il a subi
un juste châtiment pour son orgueil démesuré. » Ainsi parla le roi et tous
reconnurent qu’il disait vrai. Alors Arthur se leva, et tous les autres quittèrent
la table à leur tour.
Les nappes furent alors enlevées et les chevaliers se
rendirent dans la cour. Certains montèrent à cheval et sortirent de la forteresse.
D’autres allèrent se reposer. D’autres encore engagèrent de vives conversations.
Mais Lancelot demeura seul dans un coin de la salle, près de la fenêtre. Il
était tout pensif et soupirait abondamment en regardant, de l’autre côté de la
cour, la fenêtre de la chambre de Guenièvre [51] .
12
Le Château de Morgane
Le roi Arthur avait voulu réunir autour de lui, à l’occasion
de cette Pentecôte, le plus grand nombre possible de ses vassaux et de ses
fidèles. De nombreuses dames et jeunes filles appartenant aux plus nobles
familles du royaume s’y étaient également rassemblées, toutes réjouies de
participer aux fêtes, et fort heureuses de connaître enfin les chevaliers dont
on leur racontait souvent les exploits. Parmi ces femmes, était venue la fille
du roi Pellès. Elle avait demandé à son père la permission de se rendre à la
cour d’Arthur, pour la première fois de sa vie, et Pellès la lui avait
volontiers accordée. Elle était partie de Corbénic avec ses suivantes et ses
écuyers, sans oublier quelques bons chevaliers chargés de veiller sur sa
sécurité, et
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