La fée Morgane
l’indispensable Brisane, qui était plus que sa confidente et sans
laquelle elle se sentait désemparée. Mais, elle emmenait également avec elle
son jeune fils Galaad, qu’elle avait eu de Lancelot. Un écuyer le portait
devant lui sur un palefroi vigoureux et rapide, dont le harnachement était de
couleurs riches et variées.
Elle était arrivée la veille de la Pentecôte à Kamaalot, et
lorsqu’elle avait mis pied à terre dans la cour, le roi Arthur lui-même était
venu l’accueillir, l’avait prise par la main et l’avait guidée jusqu’à la salle.
Quand Bohort apprit qui elle était, il la reçut avec joie. Lorsqu’il vit Galaad,
qu’il savait être le fils de Lancelot, il manifesta une joie encore plus
exubérante, tant la grâce de l’enfant était grande. Et, en contemplant Galaad, Bohort
ne pouvait s’empêcher de penser à la fille du roi Brangore dont on disait qu’elle
avait eu un fils de lui.
Cependant, devant l’admirable beauté de la jeune femme, les
gens de la cour affirmèrent qu’elle n’avait pas son égale. Quant à la reine
Guenièvre, qui ignorait tout de ce qui s’était passé à Corbénic, elle ne se
tint pas de contentement devant la fille de Pellès, non seulement en raison de
sa beauté, mais aussi de sa haute naissance. Pour lui prouver l’intérêt et l’affection
qu’elle lui portait, la reine lui laissa une partie de ses appartements afin qu’elle
pût être parfaitement à l’aise et ranger les riches vêtements qu’elle avait
apportés avec elle.
Quand Lancelot fut arrivé à la cour, l’esprit tout rempli de
l’image de Guenièvre, il s’extasia cependant sur la beauté et la finesse de
celle qui lui avait donné un fils. Et, se souvenant de sa colère lorsqu’il s’était
réveillé un matin dans sa chambre, croyant avoir passé la nuit avec la reine, il
se dit qu’il aurait commis un grand crime s’il avait tué une femme si belle. Cependant,
Lancelot, troublé et gêné, évitait de la regarder et préférait se tenir loin d’elle.
Mais elle, qui l’aimait par-dessus tout, éprouvait une
grande souffrance à se voir ainsi dédaignée. Il ne se passa pas un moment qu’elle
ne fût à le guetter, se délectant à sa vue et regrettant de ne pouvoir attirer
ses regards. Brisane, qui s’était bien aperçue de sa fièvre intérieure, lui dit :
« L’aimes-tu vraiment ? – Je l’aime plus que moi-même, répondit-elle,
mais je sais que j’ai été folle d’avoir donné mon cœur à un homme aussi noble
que Lancelot qui ne daigne même pas porter les yeux sur moi ! »
Brisane se mit à rire : « Ne t’inquiète pas, je sais ce qu’il faut
faire pour qu’un homme soit subjugué par une femme. Par Dieu tout-puissant, je
te promets qu’avant notre départ d’ici, je le mettrai en ta possession et que
tous tes désirs seront comblés. – Puisses-tu dire vrai ! » répondit
la fille du roi Pellès.
On était le soir du mardi après la Pentecôte. Les fêtes s’étaient
prolongées dans la joie et la magnificence. Avant le souper, la reine Guenièvre
s’arrangea pour se trouver près de Lancelot et lui murmura qu’elle l’attendrait
cette nuit, et qu’elle enverrait une de ses suivantes pour le chercher et le
conduire en un lieu où ils seraient sûrs de ne pas être surpris. Lancelot lui
répondit, toujours à voix basse, qu’il attendrait cet instant avec impatience, tant
était grand son désir de la tenir entre ses bras. Mais Brisane, qui se trouvait
tout près, et qui avait l’oreille très fine, avait surpris le manège et la
conversation. Elle en fut très satisfaite et alla dire à la fille de Pellès qu’elle
lui amènerait Lancelot le soir même, et dans les meilleures dispositions à son
égard. La fille de Pellès ne put contenir sa joie et la fit bien connaître à
Brisane en lui sautant au cou et en l’assurant de sa reconnaissance.
Au début de la nuit, lorsque tout le monde fut couché dans
le palais, Brisane, craignant que la reine ne la devançât, ne tarda pas à venir
près du lit de Lancelot. Comme il faisait très sombre et qu’elle portait un
voile sur la tête, il ne la reconnut pas et crut que c’était une suivante de
Guenièvre. « Seigneur, dit-elle, ma dame t’attend. Hâte-toi de me suivre ! »
Lancelot, qui attendait tant cet instant, se leva précipitamment en chemise et
en braies. Brisane le prit par la main et, silencieusement, le conduisit jusqu’à
la chambre où se trouvait
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