La fée Morgane
Guenièvre, en
chassant de la cour l’homme le plus valeureux qui soit au monde. Il ne fait
aucun doute que tu auras à t’en repentir ! – Tais-toi, malheureuse ! répliqua
la reine en larmes. C’est toi qui es responsable de tout ! Je ne sais pas
par quels stratagèmes tu es arrivée à tes fins, mais sois sûre que si l’occasion
se présente, je te le revaudrai, et de belle façon ! Maudite soit ta beauté !
Maudite soit ta jeunesse ! De nombreux chevaliers et hommes de bien en
seront les victimes ! Je sais que Lancelot en a été l’une des premières, et
c’est grand dommage pour lui comme pour moi ! Tu pourras dire que cette
réunion, qui s’est déroulée dans la joie à cette Pentecôte, n’aura abouti qu’au
chagrin et à la tristesse ! Et tout cela par ta faute ! »
La fille du roi Pellès demeurait muette, laissant la reine
donner libre cours à sa douleur. Mais elle savait bien que Guenièvre avait
raison : c’est elle qui avait voulu que Lancelot vînt partager son lit, c’est
elle qui avait jeté les yeux sur lui alors qu’elle n’y avait aucun droit. Elle
se mit à pleurer, se souvenant du temps où elle était vierge, quand elle
portait la coupe d’émeraude d’où émanait une si fulgurante lumière. Depuis lors,
elle n’avait plus droit à cet honneur. Et tout cela parce que le désir de
Lancelot était entré en elle et ne la quittait plus. Elle s’assit sur le lit, sans
répondre à la reine, et s’habilla. Elle savait qu’elle ne reverrait
probablement plus Lancelot, et cela lui causait un insupportable chagrin, car
elle l’aimait plus que jamais et sentait qu’elle aurait donné son corps et son
âme pour le sauver.
Au matin, dès qu’il fit jour, la fille du roi Pellès
réveilla les gens de sa maison et leur ordonna de se préparer à partir. Elle ne
donna aucune raison, mais quand tout fut préparé, elle alla trouver le roi
Arthur pour prendre congé, désireuse qu’elle était de regagner son pays. Le roi
insista pour qu’elle restât encore quelques jours, mais elle n’y consentit pas.
S’inclinant devant sa volonté, Arthur monta à cheval avec quelques-uns de ses
chevaliers et se prépara à lui faire escorte jusqu’à la forêt de Kamaalot.
En revenant vers ses gens, la fille du roi Pellès aperçut Bohort,
lui fit un signe discret et l’entraîna à l’écart pour lui parler. Elle lui
raconta ce qui était arrivé la nuit précédente, à elle et à Lancelot, comment
la reine les avait surpris, comment elle l’avait congédié et comment il s’en
était allé, seulement vêtu de sa chemise. « Je suis très inquiète, dit-elle,
car je ne sais de quelle façon Lancelot va réagir. Il est capable de commettre
les pires folies, et peut aussi bien se trouver en face des pires dangers. Je t’assure
que si tu ne te mets pas à sa recherche sans délai et s’il n’est pas secouru
par toi ou l’un de ses parents, il risque de sombrer dans une telle maladie qu’il
ne s’en remettra jamais. Il était comme fou quand je l’ai vu quitter la chambre.
Et comme il aime la reine par-dessus tout, je le sais à mon détriment, tout
peut conduire au malheur. »
Cette nouvelle accabla Bohort. « Dame, dit-il, puisque
tu dois t’en aller, je te recommande à Dieu. Mais sois sans crainte au sujet de
Lancelot : je vais me mettre immédiatement à sa recherche et je le
poursuivrai sans relâche jusqu’à ce que j’obtienne de ses nouvelles. Tout ce
que je pourrai entreprendre pour lui, je le ferai sans hésiter, sois-en
certaine. » Et ils se séparèrent. La fille de Pellès rassembla ses gens et
ils sortirent de Kamaalot, escortés par le roi et ses chevaliers. Quand ils
furent parvenus à la lisière de la forêt, Arthur fit demi-tour en recommandant
à Dieu la fille du roi de la Terre Foraine.
Bohort ne perdit pas de temps. Il se rendit d’abord auprès
de Guenièvre. « Dame, dit-il avec amertume, pourquoi nous avoir trahis de
la sorte ? Pourquoi as-tu chassé ainsi mon seigneur Lancelot, qui est le
plus parfait chevalier que je connaisse et qui est si attaché à toi qu’il en
perdrait la vie ? – Il m’a trahie, répondit sèchement la reine. Je l’ai
trouvé couché avec la fille du roi Pellès ! » Bohort sentit la colère
monter en lui. « Et toi, reine, ne l’as-tu donc jamais trahi ? Combien
de fois t’a-t-il surprise dans le même lit que le roi Arthur ? – Insolent !
répliqua Guenièvre. N’oublie pas que je suis
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