La fée Morgane
la fille du roi Pellès. Il ne prononça pas un mot et
se coucha aussitôt aux côtés de celle qu’il croyait être la reine. Il se livra
avec fougue aux jeux de l’amour, et quand ils en eurent usé à satiété, ils s’endormirent
tous deux, chacun de leur côté, dans une béatitude absolue, lui parce qu’il
croyait posséder sa dame, elle parce qu’elle avait satisfait son désir de l’homme
qu’elle chérissait le plus au monde.
Cependant, la reine Guenièvre, couchée dans son lit, attendait
fébrilement la venue de Lancelot. Elle lui avait envoyé une servante depuis
longtemps déjà et ne comprenait pas pourquoi il n’était pas là. D’habitude, il
mettait peu de temps à obéir à son invitation. Guenièvre craignit que Lancelot
n’eût quelque fâcheux empêchement et elle alla chez sa cousine, en qui elle
avait toute confiance : « Va trouver Lancelot, lui dit-elle, et
conduis-le ici. » La cousine se hâta d’enfiler un manteau et se glissa
dans la chambre où elle savait que Lancelot dormait. Dans la plus grande
obscurité, elle alla droit vers le lit, le tâta et constata qu’il était vide. Toujours
en essayant de faire le moins de bruit possible, elle chercha partout dans la
pièce, mais elle n’y trouva nulle trace de Lancelot. De guerre lasse, elle
retourna dans la chambre de la reine pour lui avouer que Lancelot était introuvable.
Cette nouvelle plongea Guenièvre dans la plus grande perplexité.
Jamais une telle chose ne s’était produite. Elle patienta encore un moment, puis
demanda à sa cousine de retourner dans la chambre de Lancelot. Mais, comme elle
ne trouva pas plus de traces de Lancelot que la première fois, la cousine fut
bien obligée d’avouer à la reine que le fils du roi Ban n’était toujours pas là.
L’inquiétude de Guenièvre s’accrut. Lancelot n’avait-il pas des ennemis à la
cour ? Ceux-ci n’avaient-ils pas eu connaissance de leur rendez-vous et n’avaient-ils
pas empêché Lancelot de s’y rendre ?
Guenièvre se tournait et se retournait dans son lit. Les
appartements dans lesquels elle logeait étaient de vastes dimensions. Ils
comportaient plusieurs chambres dont les portes étaient garnies de tentures. La
fille du roi Pellès en occupait quelques-unes, la reine et sa cousine l’autre
moitié. Mais, cette nuit, pour garder secrète la visite de Lancelot, elle avait
donné congé à toutes ses filles de compagnie. Or, vers le milieu de la nuit, Lancelot,
qui se trouvait donc dans la chambre voisine, fit entendre une plainte, comme
il arrive parfois quand on dort. La reine reconnut immédiatement la voix. Elle
se leva, se précipita dans la chambre et découvrit Lancelot couché avec la
fille du roi Pellès. Consternée et ressentant une profonde douleur, elle ne put
se contenir : elle alluma une chandelle et, s’approchant du lit, elle se
mit à tousser.
Lancelot se réveilla en sursaut et reconnut la reine, debout
devant lui, alors que lui-même était couché avec une femme à ses côtés. Ne
comprenant rien à ce qui arrivait, il sauta hors du lit, revêtit sa chemise et
voulut s’en aller. Mais la reine le saisit par le poing et le secoua vivement :
« Misérable ! s’écria-t-elle, traître infidèle ! Tu te livres à
la paillardise dans ma propre demeure et pour ainsi dire devant moi ! Disparais
de ma vue et garde-toi de jamais reparaître devant moi en quelque lieu où je
puisse être ! »
Que pouvait répondre Lancelot ? Se justifier, dire qu’il
avait été trompé ? Mais par qui ? Quelle était la femme qui était couchée
à ses côtés et qui ne s’était même pas réveillée lorsque Guenièvre était
intervenue ? Lancelot renonçait à comprendre, comme frappé par la foudre devant
l’image terrifiante de la reine qui le menaçait. Il s’en alla ainsi, à demi nu,
quitta la chambre, descendit dans la cour, se dirigea au hasard vers le jardin,
y entra et sortit par une poterne qui était restée ouverte. La nuit était
profonde et il s’y engouffra à la recherche d’une impossible accalmie dans la
tempête qui l’assaillait de toutes parts.
La reine Guenièvre n’était pas en meilleur état. Elle s’était
effondrée sur le lit de la fille du roi Pellès et martelait les couvertures de
ses poings, sanglotant et se lamentant. La jeune femme, qui venait de
comprendre ce qui était arrivé, se trouvait dans une affliction et une détresse
mortelles. Elle dit à la reine : « Tu as mal agi, reine
Weitere Kostenlose Bücher