La fée Morgane
demeura
immobile au même endroit, le visage rayonnant, assurément très satisfaite de la
tournure qu’avaient prise les événements.
Alors, elle étendit sa main et tourna le chaton de la bague
qu’elle portait à l’un de ses doigts. « Eh bien, murmura-t-elle, que
penses-tu de tout cela, Merlin ? » Elle entendit la voix de Merlin
surgir des frondaisons, comme si l’enchanteur se trouvait près d’elle, invisible
dans sa tour d’air. « Que veux-tu que j’en pense, Morgane ? disait-il.
Ce sont tes affaires. Elles ne me concernent pas, pas plus qu’elles ne
concernent Arthur. Mais explique-moi au moins le jeu auquel tu te livres. »
La cavalière se mit à rire. « C’est très simple, répondit-elle. Je veux
mettre à l’épreuve le roi Pwyll et savoir s’il est aussi fidèle qu’on le dit. Je
n’allais tout de même pas lui dire tout de suite qui j’étais. – Ah, Morgane !
tu ne changeras jamais. Toujours aussi tortueuse, aussi ténébreuse dans tes
desseins. Sais-tu que j’ai toujours eu envie de t’appeler Notre-Dame de la Nuit ?
Voilà un surnom qui te conviendrait tout à fait. Tu ne te complais que dans de
sombres intrigues. Mais prends garde, Morgane, tes intrigues peuvent très bien
se retourner contre toi, et je peux t’affirmer qu’un homme fidèle n’a pas
toujours que des qualités ; il peut aussi avoir d’insupportables défauts ! »
La voix de Merlin se tut. « Merlin ! Merlin ! dis-moi le fond de
ta pensée ! » Mais elle eut beau tourner et retourner le chaton de la
bague, aucune réponse ne se fit plus entendre. Alors, elle remit son voile sur
sa tête et, piquant des deux, s’élança sur le chemin de l’allure tranquille qu’on
lui avait vue ces trois jours.
Quant à Pwyll, il était immédiatement revenu près de ses
gens. On lui demanda des nouvelles de la femme, mais à chaque fois qu’on l’évoquait,
il demeurait muet ou parlait d’autre chose, à tel point que plus personne n’insista.
Les jours s’écoulèrent dans les mêmes réjouissances, sauf que Pwyll ne vint
plus s’asseoir sur le Tertre de la Jeunesse. Et il en fut ainsi jusqu’au moment
fixé pour la rencontre. Il s’équipa, prit avec lui quelques-uns de ses fidèles
et s’engagea sur la route de la forteresse d’Heveid le Vieux.
Il la trouva facilement grâce à la description que lui en
avait faite celle qui prétendait s’appeler Rhiannon. On lui fit bon accueil, car
Morgane s’était assuré le concours de tous ceux qui lui étaient redevables de
faveurs ou qui craignaient sa colère. Il y eut donc grande assemblée et grande
joie pour tous les gens qui se trouvaient là. On disposa de toutes les
ressources de la cour. La salle fut préparée, les tables dressées, et l’on s’installa.
Heveid le Vieux s’assit à la gauche de Pwyll et Rhiannon à sa droite, puis
chacun prit place selon sa dignité. On se mit à manger, à boire et à converser.
Quand on eut fini de souper, au moment où l’on commençait à
boire, on vit arriver un grand jeune homme brun, à l’air princier, vêtu d’un
habit de soie brochée. De l’entrée de la salle, il adressa son salut à Pwyll et
à tous ceux qui se trouvaient là. « Dieu te bénisse, lui dit Pwyll. Viens
t’asseoir au milieu de nous. – Non, répondit-il, je ne suis qu’un solliciteur
et je vais exposer ma requête. – Volontiers. Dis-nous ce que tu désires. – En
vérité, c’est avec toi, roi Pwyll, que j’ai affaire. C’est pour te faire une
demande que je suis venu ici. – Quel qu’en soit l’objet, si je puis accomplir
ton désir, tu l’auras [12] . » Rhiannon se
pencha vers Pwyll et lui dit : « Hélas ! Pourquoi lui as-tu fait
pareille réponse ? » Mais l’étranger s’avança : « Cette
réponse, il l’a faite, princesse, et en présence de tous ces gentilshommes.
— Je ne m’en dédirai pas, dit Pwyll, expose-nous l’objet
de ta demande. – Voici, répondit l’étranger. Tu dois coucher cette nuit avec la
femme que j’aime le plus au monde. C’est pour te la réclamer, ainsi que les
préparatifs et les approvisionnements du festin, que je suis venu ici. »
Pwyll demeura immobile et silencieux, ne trouvant rien à répondre. « Tais-toi
autant que tu le voudras ! s’écria Rhiannon avec colère. Je n’ai jamais vu
un homme faire preuve de plus de lenteur d’esprit que toi. – Princesse, dit
Pwyll, j’en suis tout confus. Je ne savais pas qui il était. – Eh bien,
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