La fée Morgane
tandis
que ses compagnons s’efforçaient de persuader Yvain de les suivre. Gauvain, en
particulier, se montra si pressant, qu’Yvain prit à part la dame Laudine et lui
demanda la permission d’accompagner ses amis pendant trois mois. Laudine lui
répondit : « Seigneur, il est bon qu’un chevalier, surtout quand il
appartient à ceux de la Table Ronde, passe quelque temps à la cour du roi. Je t’accorde
volontiers ton congé, mais jusqu’au terme que je fixe moi-même : c’est
trois mois, et une semaine en plus à cause des circonstances qui peuvent
advenir. Passé ce délai, l’amour que j’ai pour toi risque de devenir de la
haine, sois-en persuadé. Sache que je tiendrai ma parole si tu ne tiens pas la
tienne. Si tu veux conserver mon amour, songe à revenir huit jours au plus tard
après la Saint-Jean. Tu seras vraiment perdu pour mon cœur si tu dépasses le
terme que je t’ai fixé. – Dame, dit Yvain, grand merci à toi, et tu as ma promesse
que je reviendrai avant même le délai que tu as dit. – Je le souhaite car sinon
tu me perdrais de façon irrémédiable. » Et, en disant ces paroles, Laudine
semblait triste et désemparée.
Yvain alla rejoindre le roi Arthur et ses gens. Sans plus attendre,
le roi donna le signal du départ. Les palefrois furent amenés, garnis de selle
et de frein. On monta à cheval et on se mit en route pour regagner la
forteresse de Kaerlion sur Wysg [26] .
4
Les impossibles Sortilèges
Girflet, fils de Dôn, était l’un des plus fidèles compagnons
de la Table Ronde. Nombreux étaient les exploits qu’il avait accomplis au
service du roi Arthur, et son habileté au combat était reconnue par tous. Mais,
lorsque aucune aventure ne se présentait, il préférait quitter la cour du roi
et retourner dans son pays d’origine, le Gwyned, auprès de son oncle Math qui l’avait
élevé, avec ses frères Govannon et Gwyzion, et sa sœur, la belle Arianrod, dont
le nom signifiait « Cercle d’Argent ». Gwyzion et Arianrod avaient
ceci de particulier qu’ils avaient été tous deux des familiers de Morgane. Ils
avaient appris avec elle de nombreux secrets qu’elle ne dispensait qu’à ceux
dont elle était sûre qu’ils en feraient usage selon ses propres projets. Mais
Gwyzion et Arianrod avaient eu également un autre maître en magie et sortilèges,
leur oncle Math, qui possédait une baguette merveilleuse avec laquelle il
pouvait transformer l’aspect des êtres et des choses.
Math, fils de Mathonwy, était le seigneur de Gwyned mais, à
cette époque, il ne pouvait vivre qu’à la condition que ses deux pieds
reposassent dans le giron d’une jeune fille vierge, à moins toutefois que le
tumulte de la guerre ne l’obligeât à prendre la tête de ses troupes [27] .
La jeune fille qui vivait alors avec lui était Gœwin, fille de Dol Pebin, et c’était
bien, à la connaissance des gens du pays, la plus belle fille de son temps. Math
résidait toujours à Kaer Dathyl, sur les bords de la rivière Arvon. Il ne pouvait
accomplir le tour de son pays, mais ses neveux le faisaient à sa place et
venaient ensuite lui rendre compte de ce qu’ils avaient vu et observé pendant
leur voyage. Quant à la jeune fille, elle ne le quittait jamais.
Or, une année, Girflet, fils de Dôn, avait accompagné son
frère Gwyzion dans son tour du pays. Quand il fut de retour à Kaer Dathyl, ses
yeux se portèrent sur la jeune Gœwin, et il en devint amoureux. L’image de la
jeune fille le hantait, et il se mit à l’aimer au point qu’il dépérissait :
il perdait ses couleurs, il maigrissait, ne mangeait plus et demeurait la
plupart du temps dans le silence et la mélancolie. Gwyzion s’aperçut de l’état
déplorable de son frère et lui demanda pourquoi il en était arrivé là. Girflet
ne répondit rien. Gwyzion insista plusieurs fois. À la fin, il lui dit :
« Pourquoi me poses-tu cette question ? – Je vois que tu as perdu ta
prestance et tes couleurs, ce n’est pas normal. Qu’as-tu donc ? – Mon
frère, ce qui m’est arrivé, je ne serais pas plus avancé de le confesser à qui
que ce soit. – Et pourquoi donc ? demanda Gwyzion. – Tu connais le
privilège de Math, répondit Girflet. Si la moindre conversation entre deux personnes,
chuchotée aussi bas que possible, est portée par le vent jusqu’à ses oreilles, il
l’entend. – C’est bien, mon frère, n’en dis pas plus long. J’ai compris que tu
aimes une jeune fille, et je sais
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