La fée Morgane
pénétrer dans le verger. Un
vieux prêtre aux cheveux blancs gardait la clef de la porte. Il célébrait le
service divin devant la dame et il la servait à sa table. Le seigneur avait
entièrement confiance en lui, car il y avait longtemps qu’il avait perdu l’usage
de certains membres. Autrement, il n’aurait jamais autorisé sa présence auprès
de sa femme.
Un jour, avant le repas du soir, la dame alla dans le verger
en compagnie de sa suivante. Elle avait dormi une partie de la journée et elle
éprouvait le besoin de s’ébattre quelque peu. Tout en devisant, les deux femmes
regardaient la mer. Or, au moment où le soleil devenait rouge à l’horizon, elles
virent venir sur l’eau qui montait, une barque, dont la voile était gonflée par
le vent et qui cinglait droit vers le rivage. Elles furent bien étonnées de n’apercevoir
aucun homme à bord.
La première réaction de la dame fut de s’enfuir tant la
chose était extraordinaire. Elle était toute pâle et décolorée. Mais la jeune
fille, qui était plus hardie, la réconforta en lui disant que puisqu’il n’y
avait personne dans la barque, aucun danger n’était à redouter. « Voilà
une grande merveille, dit-elle encore, et je ne vois pas pourquoi nous aurions
peur d’en savoir davantage. » Elle courut vers l’endroit où la barque
accostait, ôta son manteau et, sans hésiter, monta à bord. Il n’y avait
effectivement personne, mais en regardant plus attentivement, la jeune fille aperçut
le chevalier qui dormait sur le lit. Elle s’arrêta, l’examina attentivement, et
le voyant si pâle, elle crut qu’il était mort.
Elle s’en revint hâtivement vers la dame et lui raconta ce
qu’elle avait vu, ajoutant qu’elle éprouvait beaucoup de pitié pour le bel
inconnu qui gisait ainsi sur le lit. La dame lui répondit : « Je veux
le voir. S’il est vraiment mort, nous l’ensevelirons avec l’aide du prêtre et
nous ferons dire une messe pour le repos de son âme. Mais s’il est vivant, il
nous parlera et nous dira la raison de sa présence sur ce bateau. » Elles
allèrent donc vers la barque sans tarder davantage. La dame marchait devant et
la jeune fille suivait.
La dame monta à bord et, tout de suite, elle s’approcha du
lit. Elle s’arrêta, regarda le chevalier, déplorant de le voir en cet état, lui
qui avait un si beau corps, un si beau visage et qui paraissait si jeune. Elle
lui mit la main sur la poitrine et sentit qu’elle était toute chaude et que le
cœur battait sous les côtes. « Il est vivant ! » s’écria-t-elle.
La jeune fille vint la rejoindre. À ce moment, le chevalier ouvrit les yeux et
regarda les deux femmes. Il comprit qu’il avait touché terre. Se soulevant légèrement,
il les salua joyeusement. La dame lui rendit son salut et lui demanda qui il
était, dans quel pays il était né et dans quelles circonstances il se trouvait
seul dans cette barque que personne ne dirigeait.
« Dame, répondit le chevalier, mon histoire est
incroyable, mais je vais quand même te la raconter sans rien cacher ni omettre.
Tu me croiras si tu le veux, mais je jure que c’est la vérité. Il y a quelques
jours, je chassais dans les bois. Je lançai une flèche sur une biche blanche, mais
la flèche, par l’effet de quelque enchantement, revint vers moi et me blessa si
rudement à la cuisse que je pense ne plus jamais recouvrer ma santé. Et, chose
plus extraordinaire encore, la biche m’a parlé, se plaignant avec une voix
humaine. Elle m’a maudit, me jetant un sort. Je ne pourrai recevoir guérison
que d’une femme que j’aimerai et qui souffrira d’amour pour moi. Mais je ne
sais où la chercher. Je racontai mon aventure à Morgane, la sœur du roi Arthur,
qui est experte en charmes, et elle m’a conseillé de me rendre au rivage, précisant
que j’y trouverais une barque et que je devrais y monter. C’est ce que j’ai
fait. Mais c’était une folie, car dès que je fus à bord, la barque se mit à
dériver toute seule et je me retrouvai en pleine mer. Je ne sais pas où je suis,
ni où je dois aller, et je ne peux gouverner la barque puisque je suis blessé. Belle
dame, par Dieu tout-puissant, je t’en prie, donne-moi un conseil. »
La dame lui répondit : « Seigneur, n’aie aucune crainte.
Cette cité appartient à mon époux, ainsi que la contrée d’alentour. C’est un
homme riche, de haut lignage, mais il est très âgé, et par la foi que je dois à
Dieu, il est
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