La Femme Celte
Rome ». Et pour comble
d’horreur, « elle gardait avec elle douze damoiseaux qu’elle attifait en
demoiselles pour qu’on n’ait point soupçon de ce qu’elle faisait avec
eux ». Or le sénéchal de Jules César était une jeune fille déguisée en
homme sous le nom de Grisandole. Un jour, un « homme sauvage » rit
beaucoup devant la fausse Grisandole et les soi-disant demoiselles. Sommé de
s’expliquer, il révèle la vérité à l’empereur et celui-ci, après avoir fait
brûler l’impératrice et pendre les fausses demoiselles, épouse son ci-devant
sénéchal (J. Boulenger, Romans de la Table ronde ,
p. 27-31).
Ce récit, digne de Boccace, illustre parfaitement la révolte
sexuelle féminine et la répression qui s’ensuit. Il y a certes un souvenir des
débordements de Messaline, une curieuse utilisation de Jules César [231] ,
mais l’ homme sauvage , qui est Merlin, nous
ramène à une tradition assez ancienne et originaire d’Écosse, la légende de Laïloken , dont l’héroïne secoue elle aussi
le joug conjugal au moyen de l’adultère avant d’être dénoncée par le « Fou
du Bois [232] ». Mais
l’adultère, s’il est un moyen couramment employé par les femmes qui veulent se
libérer de la loi maritale, n’est pas indispensable à la révolte. Il est
d’autres histoires qui traitent de la « trahison » de la fille ou de
la sœur, cette trahison étant évidemment présentée, selon les circonstances,
comme bénéfique ou maléfique. C’est le cas de la Fille de Baudemagu, sœur de Méléagant,
dont nous avons parlé, et qui trahit son frère en libérant Lancelot du Lac,
comme nous le raconte Chrétien de Troyes dans Le
Chevalier la Charrette . On sait que cette fille, qui est la Hideuse
Demoiselle la Mule, Kundry la Sorcière, l’Impératrice, montre son origine
supra-naturelle. C’est une sorte de Vierge sauvage et même sanguinaire, presque
une Walkyrie : elle s’acharne sur ses victimes comme la Lilith de la
tradition hébraïque ; son domaine est nocturne ; ses métamorphoses sont
innombrables ; son aspect terrifie et enchante à la fois. Et surtout, elle
se révolte ouvertement contre l’autorité du frère, Méléagant étant le symbole
de la cruelle nécessité, de la Mort, mais d’une mort presque légitimée par les
lois. Et lorsqu’elle réclame à Lancelot la tête du Chevalier du Gué (le gué est
la frontière entre les deux mondes), elle demande certainement à celui-ci de
détruire les obstacles qui s’opposent au libre passage entre la vie et la mort,
entre les deux domaines qui sont voisins mais parfois inaccessibles de part et
d’autre. Du moins pouvons-nous le penser, car rien, dans le texte de Chrétien,
ne justifie la demande de la jeune fille. Il est probable que Chrétien a
utilisé une source qu’il ne comprenait pas ou qui ne l’intéressait qu’en tant
qu’épisode, pour justifier la délivrance future de Lancelot. Néanmoins Lancelot
se fait ici le champion de la féminité, rôle qu’il ne joue pas toujours dans
les récits de la Table ronde, car, malgré son éducation par Viviane, il est le
modèle du « héros de culture », défenseur de la société paternaliste
représentée par le roi Arthur, à qui il dérobe cependant une parcelle de
souveraineté, celle que symbolise Guenièvre. Mais là, la révolte ne vient pas
de Lancelot, elle vient de Guenièvre.
En effet, nous n’avons de la reine Guenièvre qu’une image
tronquée, complètement affadie par les auteurs français – sauf Chrétien de
Troyes quand on sait le lire – et devenue le modèle de l’amoureuse passionnée
presque romantique . Rien n’est plus éloigné du
véritable aspect de Guenièvre, tel qu’il apparaît dans les textes gallois les
plus anciens et dans le Lancelot de Chrétien
de Troyes.
Le nom de Guenièvre ( Guennuera ou Guanhumara chez Geoffroy de Monmouth, selon
les manuscrits) provient d’un mot – pas forcément gallois – qui a donné la
forme galloise Gwenhwyfar [233] dont le sens est « Blanc Fantôme » ou « Blanche Fée », ce
mot étant l’exact correspondant de l’irlandais Finnabair qui est le nom de la fille d’Ailill et de Mebdh dans les récits épiques
gaéliques. Geoffroy en fait une Romaine élevée à la cour du comte de Cornwall,
mais le terme « romain » désigne souvent une personne noble. La
tradition galloise en fait la fille d’un certain Gogvran Gawr dont le nom est
typiquement
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