La Femme Celte
société paternaliste et se met
délibérément hors la loi. D’où le mystère qui entoure ses liaisons, l’ombre
complice, les rendez-vous secrets, et tout l’attirail qui sont autant d’aubaine
pour des conteurs qui veulent mettre l’eau à la bouche de leurs auditeurs ou de
leurs lecteurs en leur montrant que parfois ce qui est interdit a beaucoup de
charme, et que l’adultère, surtout royal, a des attraits sans rivaux.
Guenièvre, comme Mebdh, comme Blodeuwedd, se révolte contre
l’ordre social établi et figé dans ses routines et ses contradictions qui sont
nombreuses. Sa révolte est dangereuse. Elle échappe de justesse au bûcher.
Blathnait n’avait pas échappé au vengeur de Cûroi, ni Blodeuwedd à la
malédiction de Gwyddyon, ni Lilith à la malédiction de Jéhovah. Il y a d’autres
personnages de ce genre, dans la tradition méditerranéenne classique, et ils
portent l’opprobre sur leur front. On en parle, mais toujours pour les
condamner, même si inconsciemment on se sent pris de pitié pour eux.
Prenons l’exemple de Phèdre. Il est significatif. Selon la
définition de Chateaubriand qui, ce jour-là, aurait mieux fait d’aller se
promener sur ses chères landes, c’est « une chrétienne à qui la grâce a
manqué ». Cette définition, due à un excès de ferveur janséniste,
méconnaît essentiellement la valeur du mythe. Il est vrai que Racine était
janséniste, mais il était aussi un fameux helléniste, imprégné du théâtre grec
et de toutes ses légendes. Pour qui sait lire le texte racinien, le mythe
apparaît dans son aveuglante clarté. D’abord Phèdre n’est pas une vieille femme
qui s’amourache d’un « minet », comme les représentations théâtrales
veulent nous le faire croire [241] . C’est une jeune femme
victime de la loi paternelle qui en a fait l’épouse du héros Thésée, héros
vieillissant qui n’est presque jamais là. Phèdre, qui a presque le même âge
qu’Hippolyte, son beau-fils, s’ennuie profondément. Elle jette les yeux sur
Hippolyte, qui ressemble à son père, les
défauts en moins.
Il n’y a là rien d’anormal, et en tout cas rien qui justifie
l’inceste, sauf dans un cadre social exogamique (ce qui est le cas pour les Grecs comme pour les Celtes). Phèdre est condamnée
au nom des lois de la société paternaliste qui exclut les mariages à l’intérieur
du clan. Phèdre, ayant épousé Thésée, est entrée de plein droit dans le clan de
Thésée. Le fait, pour elle, de jeter les yeux sur le fils de Thésée est un
inceste clanique. Les bonnes âmes qui la condamnent feraient bien de se
rappeler que, dans la société juive, qui est endogamique ,
les beaux-frères épousent les veuves de leurs frères : il n’est jamais
question d’inceste, et qui plus est, cette coutume est obligatoire lorsqu’elle
est possible. L’inceste de Phèdre n’est donc pas religieux, ni même moral, il
est social .
En effet, cet inceste, s’il était consommé, remettrait en
cause toutes les structures de la société à laquelle Phèdre appartient, bon gré
mal gré. En se révoltant contre l’autorité maritale, qui est aussi l’autorité
paternelle, base de la société, Phèdre se révolte contre cette société. Comme
Blodeuwedd et comme Guenièvre, elle doit être condamnée. Et si dans la légende
grecque, elle accuse Hippolyte d’avoir tenté de la violer, c’est pour se
venger : Hippolyte qui aurait pu être son complice, qui aurait pu l’aider à
renverser les valeurs, Hippolyte a refusé, vraisemblablement parce qu’il a
compris où voulait en venir Phèdre. Il est donc devenu l’ennemi de celle-ci, en
même temps qu’un témoin gênant. Il faut dire que l’Hippolyte d’Euripide est intelligent,
tandis que celui de Racine brille surtout par son incapacité, Racine en ayant
fait le symbole de l’homme faible et impuissant à assumer ses responsabilités
(thème janséniste).
Un autre exemple, latin celui-là, peut être pris dans l’ Horace de Corneille. On sait que l’épisode des
Horaces et des Curiaces appartient davantage à la légende qu’à l’histoire, avec
pour seule base la rivalité entre les vieilles cités du Latium. Mais Corneille
en a saisi magnifiquement l’esprit et l’a transposé dans sa tragédie avec un
cynisme remarquable. Cette œuvre que l’on a proposée – et que l’on propose
encore – à des générations d’écoliers, est peut-être l’œuvre la plus immonde et
la
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