La Femme Celte
et
soupirer, un crime : / leur brutale vertu veut qu’on s’estime heureux, et
si l’on n’est barbare, on n’est point généreux. » Ayant parfaitement
compris la situation, Camille décide de franchir le pas. Mais on remarquera
qu’il ne s’agit en aucun cas d’un débordement de passion. La décision de
Camille a été prise à la suite d’un long développement, d’un débat comme on en voit tant dans les pièces de Corneille.
Son attitude lui est dictée par sa raison .
S’il y a débordement, c’est parce que la coupe est pleine, et parce que Camille
n’a plus rien à perdre : « Dégénérons, mon cœur, d’un si vertueux
père ; / soyons indigne sœur d’un si généreux frère / c’est gloire de
passer pour un cœur abattu, / quand la brutalité fait la haute vertu » ( Horace , IV, 5). C’est donc une condamnation
raisonnée et sans équivoque. C’est aussi la preuve qu’il y a un monde entre la
mentalité du frère et de la sœur. Ce n’est plus un conflit entre un frère et
une sœur, c’est un conflit de civilisation. Celle d’Horace est une civilisation
de violence, de terreur, d’oppression, de raison pure .
Celle de Camille est une civilisation d’amour, d’ affectivité .
Mais Camille est seule pour défendre son point de vue. Devant
l’attitude insolente et bestiale de son frère, elle éclate littéralement et
maudit Rome, symbole évident de cette civilisation qu’elle refuse de tout son
être, souhaitant la ruine définitive de l’orgueilleuse cité. On sait la suite.
Horace la tue, et pour se justifier aux yeux d’un soldat, il prononce des paroles
qui indiquent qu’il a compris où se trouvait le danger : « Et ce
souhait impie, encore qu’impuissant, / est un monstre qu’il faut étouffer en
naissant » ( Horace , IV, 6).
À ce stade, la tragédie de Corneille, pour peu qu’on veuille
bien la lire effectivement et non pas se contenter d’entendre, à travers le
ronronnement des alexandrins, quelques belles formules qui font choc, serait
une œuvre objective et pleine d’enseignements. Mais que dire du V e acte ? Que penser de la justice de ce roi
qu’on veut nous présenter comme le modèle des souverains (on admirera au
passage le coup de brosse à reluire donné aux chaussures de Richelieu,
véritable fondateur de la monarchie absolue en France) ? Le roi a tous les
droits, puisqu’il est lui-même au-dessus de toutes les lois qu’il peut faire et
défaire (comme Dieu le veut, mais Dieu est bien pratique dans certaines
circonstances, surtout lorsqu’il s’agit de gouverner). Le roi va donc absoudre
Horace : « Vis donc, Horace, vis, guerrier trop magnanime ; / ta
vertu met ta gloire au-dessus de ton crime » ( Horace ,
V, 3). Si notre sens moral s’offusque de cet acquittement, tant pis pour
nous : il y a la raison d’État, la vertu et la gloire, pour lesquelles on
doit tout sacrifier (en vertu du Dieu le veut ).
Horace, l’assassin de ses trois beaux-frères et de sa sœur, est un héros, n’en
déplaise à Blaise Pascal, cet hérétique qui s’obstine à ne pas confondre
justice et force [242] .
Mais soyons honnêtes. Le roi ne pouvait pas ne pas acquitter
Horace : c’eût été reconnaître une certaine valeur à l’acte de Camille, et
par conséquent faire un trou dans la muraille de protection de la société dont
il est le symbole. Pauvre Camille, elle est condamnée à rejoindre les mânes de
Phèdre, de Guenièvre, de Blathnait et de Blodeuwedd. La révolte de la
Fille-Fleur a encore échoué.
Un récit très étrange de la littérature irlandaise nous
propose cependant une tentative qui va très loin et qui réussit en partie. Ce
récit est fort obscur par ses motivations, car il présente surtout le spectacle
d’une tragique confrontation entre le druidisme (sous sa forme vulgarisée de
sorcellerie) et le christianisme triomphant. Mais parce que le druidisme n’est
plus officiel au sein de la société gaélique christianisée, et qu’il est
devenu, comme dans les anciens pays celtiques continentaux, l’apanage des
femmes, lesquelles continuent de le pratiquer dans l’ombre, sous forme de
sorcellerie, cette confrontation est intéressante étudier.
La mort de
Muirchertach (Irlande) : Le roi suprême d’Irlande Muirchertach
rencontre, au cours d’une chasse, une jeune fille dont il tombe éperdument
amoureux. Priée par lui, la jeune fille n’accepte de le suivre la maison royale
de Cletech qu’à la
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