La Femme Celte
du
Graal :
Perceval (Chrétien de Troyes) : « Des flambeaux illuminaient la salle d’une
telle clarté qu’on ne pouvait trouver au monde un hôtel éclairé plus
brillamment. Tandis qu’ils causent loisir, paraît un valet qui sort d’une
chambre voisine, tenant par le milieu de la hampe une lance éclatante de
blancheur… Une goutte de sang perlait à la pointe du fer de la lance et coulait
jusqu’à la main du valet qui la portait… Alors viennent deux autres valets,
deux fort beaux hommes, chacun en sa main un lustre d’or niellé ; dans
chaque lustre brûlaient dix cierges pour le moins. Puis apparaissait un graal , que tenait entre ses deux mains une belle
et gente demoiselle, noblement parée, qui suivait les valets. Quand elle fut
entrée avec le graal, une si grande clarté s’épandit dans la salle que les
cierges pâlirent, comme les étoiles ou la lune quand le soleil se lève. Après
cette demoiselle en venait une autre, portant un tailloir d’argent. Le graal
qui allait devant était de l’or le plus pur ; des pierres précieuses y
étaient serties, des plus riches et des plus variées qui soient en terre ou en
mer ; nulle gemme ne pourrait se comparer à celle du graal » (trad.
Lucien Foulet, p. 75-76).
Dans sa précision, ce « Cortège du Graal »,
apporte trois éléments de toute première importance : le graal , la lance et
le tailloir . De plus, le graal est tenu par
une femme, ainsi que le tailloir, et si le tailloir est en argent, le graal est
en or, ou tout au moins il a l’aspect de l’or et il brille comme le soleil .
Il n’est pas difficile de retrouver dans la lance qui
dégouline de sang un des objets merveilleux de la quête celtique, et cela en
dépit de l’interprétation chrétienne tardive qui faisait de cette lance la
lance du centurion Longin. Il s’agit de la lance qu’avaient rapportée des
« Îles du Nord du Monde », les Tuatha Dé Danann : « la
lance qu’avait Lug, on ne pouvait gagner de bataille sur celle ou celui qui
l’avait en main [252] . Son pouvoir était si
destructeur qu’il fallait toujours tremper sa tête dans un chaudron pour éviter
que la ville où elle se trouvait ne s’embrasât [253] .
C’est la « Lance d’Assai »… Mort est celui dont elle verse le
sang : sa valeur est telle qu’elle ne frappe pas en erreur si on lui dit ibar . Mais si on lui dit athibar ,
elle revient en arrière jusqu’à la main de celui qui l’a lancée [254] ».
C’est aussi la lance du héros irlandais Celtchar fils d’Uthechar, personnage
assez bizarre qui apparaît dans certaines épopées secondaires du Cycle
d’Ulster. Dans le récit intitulé Le Cochon de Mac
Dathô , alors que les guerriers réunis se disputent le « morceau du
héros », Celtchar revendique cet honneur, mais il est récusé par Cet, fils
de Maga, qui lui dit : « Je suis venu jusqu’à la porte de ta maison.
On criait sur moi. Tout le monde arriva. Tu es arrivé aussi. Tu allas dans un
défilé où tu me rencontras. Tu me lanças un javelot. Je t’en lançai un autre
qui te perça la cuisse et le haut des testicules. Tu as une maladie de vessie
depuis ce temps-là, et dans la suite tu n’as plus engendré de fils ni de fille [255] ».
Il est clair que Celtchar souffre de la même infirmité que
le Roi-Pêcheur, d’où l’impossibilité dans laquelle il se trouve de prétendre au
« morceau du héros », c’est-à-dire à un morceau de roi. La royauté
est incompatible avec l’impuissance sexuelle, c’est bien connu. Mais ce qu’il y
a de plus curieux, c’est que Celtchar possède une lance redoutable comme celle
d’Assal, et à cause de laquelle il périra lui-même. Dans le récit de La Mort violente de Celtchar fils d’Uthechar , la
femme de Celtchar, Brig Brethach, l’ayant trompé avec Blai Briuga, Celtchar tue
l’amant alors que celui-ci se trouve dans la maison royale en train de regarder
jouer aux échecs Conchobar et Cûchulainn. Il lui enfonce sa lance au travers du
corps « si bien qu’une goutte de sang, du bout de la lance, vint sur le
jeu d’échecs ». Cette goutte de sang est importante, car l’endroit où elle
est tombée permet de savoir qui, de Conchobar ou de Cûchulainn, a été le plus
près de la victime, et par conséquent qui doit assumer la vengeance contre
Celtchar, puisque celui-ci a violé le droit d’asile et d’hospitalité de la
maison royale. Finalement Celtchar est condamné à
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