La Femme Celte
la stérilité du
royaume ; impuissance du roi qui ne peut
plus gouverner ; sacrifice rituel soit
humain, soit animal, soit par simple substitution de victime ou offrande ; épreuves infligées à ceux qui partent en
quête ; personnages féminins appartenant
au monde féerique et guidant les participants à la quête ; reine, princesse ou impératrice détenant le breuvage
de puissance et de souveraineté qui n’est donné qu’à celui qui a surmonté
toutes les épreuves [337] . La Quête du Graal se
confond avec la Quête de la Femme. Celui qui trouve la Femme trouve le Graal.
La Femme qui se désolait, seule et stérile au fond de son château enfoui,
tandis que sa terre était frappée de malédiction, peut alors former le couple
idéal et parfait grâce à l’arrivée de Celui qu’on attendait. Au Roi-Pêcheur
languissant et impuissant succédera le nouveau roi du Graal, un jeune Roi,
capable de redonner la fécondité au pays d’alentour, et symboliquement à la
Femme qui tient la coupe, le plateau, ou la Pierre, cette femme qui est la
prêtresse d’un culte dont nous ne connaîtrons jamais la véritable signification.
Une chose est certaine : une fois de plus, nous nous
trouvons en présence d’un souvenir du culte d’une antique déesse, détrônée par
les dieux mâles : c’est le sens du viol commis par le roi Amangon contre
l’une des pucelles féeriques (et divines) du château du Graal. Amangon a forcé
le destin, courbé la puissance féminine sous sa force aveugle et brutale de
mâle, il lui a dérobé sa souveraineté sous la forme symbolique de sa coupe. En
fait c’est le Père qui vient d’instaurer son autorité exclusive. Depuis ce
temps, la société est à la recherche d’un équilibre qu’elle ne pourra retrouver
que lorsque le Jeune Fils de la Mère viendra
ou tuer, ou châtrer, ou éliminer le Père, afin de rendre à la Mère sa
Souveraineté d’Antan. Ainsi, idéalement, mythiquement, et bien avant la
christianisation du mythe, la Quête du Graal est, elle, la Glorification de l’Élue , la femme éternelle, divine,
aux multiples aspects, qui règne toujours dans les souterrains du monde, et qui
n’attend que son plus jeune fils ( Mabon ) pour reparaître à l’air libre et reprendre
son titre de Grande Reine (Rhiannon-Matrona-Modron), équilibrant de nouveau la
société de ses fils désunis et qui se réconcilieront dans l’amour de la Mère.
CHAPITRE VI
-
Yseult ou la dame du verger
Dans son roman Le Rivage des
Syrtes , Julien Gracq conduit son héros dans un de ces jardins plus ou
moins abandonnés et désuets qui parsèment la ville d’Orsenna. Et alors qu’il
s’attendait à n’y trouver personne et à pouvoir méditer à son aise, voici
qu’une jeune fille est accoudée à l’endroit où il avait l’habitude de
s’accouder. Il se produit alors un bouleversement complet dans l’âme du jeune
homme. « La beauté de ce visage à demi dérobé me frappait moins que le
sentiment de dépossession exaltée que je
sentais grandir en moi de seconde en seconde. Dans le singulier accord de cette
silhouette dominatrice avec un lieu privilégié, dans l’impression de présence
entre toutes appelée qui se faisait jour, ma conviction se renforçait que la reine du jardin venait de prendre possession de son
domaine solitaire… Je ne devais me rendre compte que bien plus tard de ce
privilège qu’elle avait de se rendre immédiatement inséparable d’un paysage ou
d’un objet… Les choses, à Vanessa, étaient perméables. D’un geste ou d’une
inflexion de voix merveilleusement aisée, et pourtant imprévisible, comme
s’agrippe infaillible le mot d’un poète, elle s’en saisissait avec la même
violence amoureuse et intimement consentie qu’un chef dont la main magnétise
une foule [338] ».
Voilà donc, traduit en des termes poétiques, mais lourds de
signification, le thème de la Femme initiatrice et transformatrice qui semble
avoir été celui que les Celtes ont exploité avec le plus de génie et le plus
d’originalité. La femme, dès son apparition au milieu d’un paysage, métamorphose
l’aspect de ce paysage, et par voie de conséquence, l’observateur du paysage
lui-même, puisqu’il appartient de fait à l’univers au centre duquel évolue
l’être féminin. Ainsi l’observateur ne sera plus
jamais le même après qu’il aura vu son paysage habituel transformé, et
lui-même ne s’appartiendra jamais plus entièrement
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