La Femme Celte
l’obstacle absolu qui est la
mort. »
Soyons précis : l’amour étant une abstraction pure,
Tristan et Yseult seraient alors la proie d’une chimère qu’ils poursuivent sans
cesse sans jamais pouvoir l’atteindre. D’où la mort, qui à ce moment-là n’est
plus « la rencontre dans la mort », n’est plus le « triomphe de
l’amour sur la vie », mais bien au contraire un constat d’échec brutal. On
oublie peut-être que l’amour est cependant une réalité dans la mesure où chacun
des deux partenaires agit . Et l’action de
chacun d’eux se manifeste par des effets .
Étant donné que la notion d’amour est inséparable de la notion d’harmonie,
d’entente, ces fameux effets ne peuvent être que complémentaires, et non pas identiques : une simple comparaison
avec les phénomènes électriques dispense de tout commentaire. L’Éclair (pensons
au « Coup de Foudre ») ne peut jaillir que s’il y a deux forces
antagonistes et complémentaires en présence. Il y a donc, en premier lieu, dans
l’amour, un échange . Là est la règle de
l’altruisme. Tristan a quelque chose à donner à Yseult, Yseult a quelque chose
à donner à Tristan : ce qui est évident sur le plan sexuel pur, ne l’est
pas moins sur les plans intellectuel, psychologique et spirituel.
Denis de Rougemont a senti cette solution. « Si la Dame
(de l’amour courtois) n’est pas seulement l’Église d’Amour des Cathares,
écrit-il, ni la Marie-Sophia des Gnostiques (le principe féminin de la divinité),
ne serait-elle pas l’ANIMA, ou plus précisément la part spirituelle de l’homme, celle que son âme emprisonnée
dans le corps appelle d’un amour nostalgique que la mort pourra
combler ? » Le malheur est qu’une telle réflexion surgisse tout droit
des élucubrations ésotériques de Jung, contraires aux lois fondamentales de la
psychanalyse. D’ailleurs que viennent faire les Gnostiques dans
l’interprétation d’une œuvre celtique ? Quant au rapport possible entre
les légendes celtiques et le Catharisme (envisagé par Denis de Rougemont), il
faut y renoncer d’emblée : ce qu’on sait de la pensée des Celtes est absolument
contraire au dualisme manichéen, à la distinction formelle entre le Bien et le
Mal, au partage de l’univers entre deux forces opposées, à l’existence de deux
mondes séparés. Le dualisme est résolu chez les Celtes. Leur Autre Monde n’est
pas en bas ni au-dessus :
il est à côté et l’on y pénètre quand on veut,
pourvu qu’on puisse le voir avec les yeux de l’intelligence instinctuelle.
Mais l’avantage d’une telle réflexion – et c’est en quoi
elle approche la réalité de la légende de Tristan – c’est de mettre en évidence
le rôle déterminant de la Femme, dans l’Amour courtois, et par conséquent dans
les textes qui nous occupent. Nous sommes trop obnubilés par le personnage de
Tristan, ce héros « de culture », ce chevalier « sans peur et
sans reproche » (oui, mais sa trahison envers Mark, on n’en parle guère et
on l’excuse : ce n’est pas sa faute, c’est celle du philtre !). Nous
sommes dans une civilisation paternaliste où les principaux rôles sont tenus
par des mâles. Or le personnage de Tristan, en dernière analyse, est l’image
d’un « pauvre type ». C’est Yseult qui mène tout, et depuis le début.
Nous allons le comprendre grâce à une légende irlandaise, plus ancienne que comme
l’un des archétypes du Roman de Tristan et Yseult [372] .
La Poursuite de
Diarmaid et Grainné (Irlande) : La jeune Grainné, fille du roi
suprême d’Irlande Cormac mac Airt, est demandée en mariage par le vieux roi des Fiana , Finn mac Cumail. Pour le décourager,
elle lui demande en cadeau un couple de chaque animal sauvage se trouvant en
Irlande. Mais Cailté, neveu de Finn, ramène les animaux demandés et Grainné ne
peut refuser d’épouser Finn [373] . Cependant elle
manifeste une haine terrible envers son époux [374] .
C’est alors que Cormac organise un grand festin où il convie les Fiana . Grainné se fait nommer tous les Fiana , puis elle appelle sa servante et lui demande
d’aller chercher une coupe d’or et de pierres précieuses qu’elle remplit d’un
breuvage magique [375] . Elle fait porter la
coupe à Finn et aux chefs Fiana en les priant
de boire. Tous s’endorment après avoir bu, sauf Oisin et Diarmaid [376] .
Grainné propose alors à Oisin de s’enfuir avec elle, mais
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