La Femme Celte
l’affectivité, et que le mariage est
une institution sociale, légale, régie par des lois. On peut obliger quelqu’un
à se marier ou à rester marié, on ne peut pas l’obliger à aimer, du moins dans la perspective logique qui est la nôtre ,
par suite de notre héritage méditerranéen classique. Car nous verrons que le
problème est tout différent dans un autre système de logique, celui des Celtes
en l’occurrence. Mais il est certain que l’Occident a fait une erreur en
superposant l’amour et le mariage, erreur qu’il paie par toute une série de
drames dits « passionnels » et qui conduit à une culpabilisation de
l’amour franchement visible dans la littérature européenne, même si l’adultère
est devenu le nœud de toute intrigue. « Le mariage, dit encore Denis de
Rougemont, n’avait pour les Anciens qu’une signification utilitaire et limitée.
Les coutumes permettaient le concubinat. Tandis que le mariage chrétien, en
devenant un sacrement, imposait une fidélité insupportable à l’homme
naturel. » Effectivement le mariage, qui est à la base de la société
paternaliste actuelle puisqu’il constitue la famille légale, n’a, en vérité,
qu’un but social. Il s’agit de « faire » des enfants pour la survie
de cette société, et de protéger ces enfants pour qu’ils puissent prendre le
relais dans les meilleures conditions possibles. Où est l’amour
là-dedans ? Quand on compare cette famille occidentale moderne avec la
famille grecque, on est quelque peu surpris : le père de famille de la
Grèce antique se mariait pour avoir des enfants et perpétuer sa race, mais
trouvait l’amour chez les hétaïres, la sexualité chez les prostituées de bas
étage et complétait sa vie affective et sensuelle par la pratique de la
pédérastie, au sens propre du terme, laquelle avait d’ailleurs tendance à
devenir une institution sociale. Et si on compare à la fois la famille occidentale
moderne et la famille grecque ancienne avec la famille celtique, basée sur des
rapports originaux entre le mari et la femme, et admettant parfaitement le
concubinat et le mariage temporaire, on s’aperçoit qu’un fossé s’est creusé
entre l’époque païenne et l’époque chrétienne. Il ne faut pas oublier que
l’Église a commencé par tolérer le mariage, en
prêchant la chasteté, parce qu’elle ne pouvait empêcher ni la conservation de
l’espèce, ni la sexualité. Elle a simplement nié la sexualité en l’intégrant
dans la fonction de reproduction, celle-ci surveillée étroitement par les
codifications du mariage. Mais elle n’a même pas voulu prendre la
responsabilité de ce mariage, puisque ce sont les époux qui s’administrent
eux-mêmes le sacrement, et non le prêtre.
Bien entendu, en niant la sexualité, l’Église en arrivait à
nier tout le système psycho-affectif de l’être humain. D’où cette fureur
d’amour mystique qui a fait vibrer le christianisme pendant des siècles,
car il fallait bien utiliser l’énergie ainsi refoulée : si l’amour humain
ne pouvait s’épanouir librement (en dehors de la fonction de reproduction), il
fallait le récupérer dans le cadre spirituel, le désincarner et l’intégrer dans
une métaphysique parfois compliquée dont les écrits des grands Mystiques sont
le témoignage le plus authentique et le plus troublant.
Or l’amour dit « courtois », ou, si l’on préfère,
la « fine amor » des troubadours et des écrivains courtois des XII e et XIII e siècles,
s’insère parfaitement dans ce cadre de préoccupations. Mysticisme et Sensualité
font bon ménage dans toutes ces œuvres, de même que le christianisme y
transpire de grosses gouttes de paganisme. La légende de Tristan et Yseult,
telle qu’elle nous est parvenue, se trouve exprimée dans ce contexte. Si on
veut la comprendre vraiment, on doit la débarrasser de ce contexte, la
dépouiller de son vêtement courtois . Car si on
ne le fait pas, on en vient à nier l’amour lui-même, ce que semblent avoir
cherché à faire les auteurs courtois, comme le dit Denis de Rougemont sans même
s’apercevoir de la force corrosive de sa réflexion : « Tristan et
Yseult ne s’aiment pas… Ce qu’ils aiment, c’est
l’amour, c’est le fait même d’aimer . Et ils agissent comme s’ils avaient
compris que tout ce qui s’oppose à l’amour le garantit et le consacre dans leur
cœur, pour l’exalter à l’infini dans l’instant de
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