La Femme Celte
application. D’où l’abondance des serments qui
consacrent les traités, et corollairement l’abondance des
« malédictions » divines promises à ceux qui, ne respectant pas leurs
serments, contreviennent à ces traités. C’est dans cette perspective qu’il faut
examiner le pouvoir exorbitant, en théorie, des druides, et les moyens d’action
qui leur sont dévolus.
Ne parlons pas du pouvoir de divination : c’est
évidemment une manière excellente de faire agir les autres selon ce qu’on a
prévu, et donc décidé. Mais le procédé a été universellement appliqué et n’a
rien d’original : les druides s’en sont servis comme tous les autres
prêtres de n’importe quelle religion. Ne parlons pas non plus des
« pouvoirs magiques » des druides qui leur permettaient d’agir sur la
nature : n’importe quel shaman, n’importe quel sorcier peut en faire
autant par sa force de suggestion ou ses capacités para-psychologiques. Il y a
surtout deux moyens qui font que les druides se différencient de leurs collègues
des autres religions, le glam dicin et le geis . Tous deux se ressemblent d’ailleurs et il est
difficile d’en fixer les limites respectives.
Le glam dicin est une sorte
d’incantation satirique dirigée contre quelqu’un et qui a force d’obligation.
C’est en fait une malédiction. Elle peut être prononcée pour une raison
valable, manquement aux lois divines ou humaines, trahison, rupture de contrat,
meurtre, mais aussi par simple désir personnel de vengeance ou par simple
animosité. L’exemple du poète Athirne, que ses compatriotes Ulates tolèrent
parce qu’ils ne peuvent rien contre lui et qu’ils redoutent ses glam dicin injustes et haineux, en est une preuve.
Car non seulement les druides peuvent l’employer, mais également les poètes,
autrement dit les fili , lesquels, à l’époque
pré-chrétienne, avaient déjà tendance à usurper les pouvoirs des druides et à
prendre leur place dans la société. En tout cas ce glam
dicin est redoutable, parce qu’il place la personne qui en est frappé
dans un état de honte, de maladie ou de mort. L’individu satirisé est rejeté de la société, et même si on le
plaint, on ne peut plus rien pour lui.
Plus complexe est le geis .
Il ne se lance pas n’importe comment ni pour n’importe quoi. Seule une raison
très grave le justifie, car il touche au destin même de l’être humain (et
parfois de l’animal). C’est une sorte d’interdit, jeté à la suite de certaines
circonstances sur un individu et qui marque définitivement cet individu.
Transgresser le geis , c’est s’exposer à de
graves ennuis et finalement à une mort non seulement douloureuse mais odieuse, ignominieuse , car là encore la valeur
morale et sociale de l’interdit fait que tout contrevenant s’expose fatalement
à la honte, est rejeté de l’ordre social établi. Nous avons d’innombrables
exemples de geisa . À sa naissance, un être humain
est déjà la proie de ces geisa . Ainsi le roi
Conairé le Grand est soumis à toute une série d’interdictions plus ou moins compliquées,
et sa déchéance commencera au moment où un seul geis transgressé entraînera la transgression en chaîne de tous les autres geisa [390] . Ainsi Cûchulainn, au
moment où on lui donne son nom de « Chien de Culann », a pour geis principal de ne jamais manger de chien. Or,
cerné et guetté par ses ennemis, il devra quand même manger du chien parce que
ses ennemis l’emprisonnent à travers un faisceau de geisa :
il ne peut échapper à tous, et un geis transgressé entraîne fatalement la transgression des autres. Cûchulainn est
donc conduit irrémédiablement à la mort par le jeu magique lancé par les
druides ou les satiristes.
Mais le geis n’a pas qu’un
aspect négatif d’interdit. Il peut obliger quelqu’un à accomplir quelque chose
sous peine de recevoir un châtiment, et c’est là où il acquiert sa véritable
puissance et devient entre les mains de celui qui le détient un moyen
redoutable contre lequel il n’y a aucune parade. Lorsque Grainné place Diarmaid
sous un « geis de mort et de
destruction », elle veut dire : « Viens avec moi. Si tu ne viens
pas, tu es non seulement un homme mort, mais un homme déshonoré. » On en a
la preuve lorsque Diarmaid demande conseil à Oisin et à quelques Fiana , tous tenus pourtant de faire respecter
l’ordre établi et l’obéissance à Finn, leur chef
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