La Femme Celte
enchanteresse : mais
elle avait pris sous les arches gothiques et parmi les tombeaux, quelque chose
de la mort ; elle était pâle, elle me regardait avec des yeux
tristes ; ce n’était plus que l’ombre ou les mânes du rêve que j’avais
aimé [434] . » Et il faudra
attendre la sérénité de la vieillesse pour que Chateaubriand retrouve
intégralement l’image éternellement jeune de la Sylphide : « Toi,
pâlie par les reflets de la candeur de Diane, ô Cynthie, tu es mille fois plus
gracieuse que ce palmier… Tes regards se croisent avec ceux des étoiles et se
mêlent à leurs rayons… Le jasmin, l’Hébé d’albâtre, est une magicienne de Rome,
née il y a seize mois de mai et la moitié d’un printemps, au son de la lyre, au
lever de l’aurore, dans un champ de roses de Paestum [435] ».
Triomphante, sous quelque nom qu’on puisse la nommer, la femme enchanteresse règne
dans son domaine qui est celui du rêve, dans son verger quasi inaccessible, par
la vertu de sa souveraineté et par les paroles magiques qu’elle prononce,
paroles, verbes qui transforment l’aspect des
choses, métamorphosent l’essence des êtres. Ainsi s’explique la puissance du geis .
LA NOUVELLE NAISSANCE
Cette acceptation par l’homme du geis a des conséquences que les textes littéraires nous présentent toujours comme redoutables
et conduisant toujours à une fin tragique. On finirait par croire qu’il n’y a
pas « d’amour heureux », comme si la notion de bonheur pouvait
s’imbriquer dans un acte qui, par nature, est une rupture
d’équilibre . L’acte d’amour peut conduire au bonheur, mais à ce moment,
il n’est plus qu’un souvenir. Ce que les grandes légendes qui ont l’amour comme
sujet veulent nous apprendre, ce n’est pas la recherche du bonheur (d’ailleurs qu’est-ce
que c’est), c’est ce qu’apporte l’amour à un être humain, et plus
particulièrement à l’homme. Car il semble bien que la femme détienne depuis
l’origine le redoutable secret qui attire et fait fuir le mâle. « Dans le
contexte de la création, la primauté du mâle est constamment soulignée, et la
théorie ultérieure selon laquelle la sexualité est révélée à la femme par
l’homme est une conséquence logique du récit. Cependant, le serpent qui n’a pas
été fait rampant dans un premier temps, apparaît d’abord à Ève. Il lui tient
des propos montrant que l’autorité divine peut être mise en cause, qu’il existe
des choses « diablement » intéressantes. Ève, avertie, entraîne Adam
à commettre le péché originel. Si nous nous en tenons au symbolisme sexuel du
Serpent, Ève a été la première à connaître la
sexualité et elle oblige Adam à faire semblant de la lui révéler . Ainsi
l’élément inconscient qui passe à travers la ligne du récit est la révélation à
l’homme de la sexualité par la femme [436] . »
De toute façon, qu’on prenne ou nom le texte de la Genèse à la lettre, on peut dire que la femme est
responsable d’un changement de situation de l’homme. De nombreuses traditions,
mythologiques à l’origine, puis devenues historisantes, nous présentent ce
changement de situation comme une régression, comme une chute : ainsi la tradition biblique. Mais à
cette conception sémite correspond la conception indo-européenne caractérisée
par le personnage de Pandore, la femme créée par Prométhée et qui fait échapper
de sa boîte tous les maux dont souffre l’humanité. C’est encore la conception
chrétienne selon laquelle la femme, être diabolique, est faite pour tenter
l’homme et pour l’abaisser. Mais à cette opinion si commune et si enracinée
dans les esprits qu’il est difficile de soutenir le contraire, s’oppose
cependant tout un courant de pensée, malheureusement très marqué par un
ésotérisme qui l’étouffe : « On atteint Dieu par la femme »,
déclarait le troubadour Uc de Saint-Circ ; les pécheurs du Moyen Âge
priaient la Vierge Marie pour que Dieu se laisse fléchir ; Gœthe s’écrie
dans Faust : « L’Éternel Féminin
nous entraîne en haut. » Qui a tort ? Qui a raison ?
À s’en tenir aux conséquences apparentes des histoires
d’amour qui nous occupent, le bilan peut sembler négatif. L’amour de Tristan et
Yseult conduit à l’adultère, à la félonie, au mensonge, à la mort. L’amour de
Diarmaid et Grainné mène aussi à la félonie, à la trahison et au crime. L’amour
de
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