La Femme Celte
de cheptel. Théoriquement, la terre est propriété de l’état,
propriété commune et indivisible. Le roi, en tant que magistrat élu par la
communauté, et donc chargé de l’administration, peut autoriser un membre
quelconque du tuath , en récompense de certains
services, ou au contraire pour lui permettre d’œuvrer en vue du bien commun, à
occuper une portion de territoire pour y établir sa demeure, ou pour mettre en
valeur la terre. Mais ce faisant, il n’agit pas comme le suzerain féodal que
nous remarquons sur le continent à la même époque : il n’impose aucune
redevance, aucun service particulier à l’individu qu’il a établi, il ne lui a
pas concédé de fief à proprement parler, il en a fait seulement une sorte de
locataire privilégié, et dans le but, répétons-le, de servir le bien général de
la communauté du tuath [41] .
Pour donner un exemple, on peut citer le cas du personnage qu’on appelle
généralement l’ Hospitalier , et qui est un
fonctionnaire choisi par le roi, dont la mission est de recevoir, de nourrir –
et d’abreuver ! – les membres du tuath ainsi que les hôtes étrangers, aux noms et place du roi, c’est-à-dire en fait
de la communauté. L’ Hospitalier , pour mener à
bien sa mission, a droit à huit cents hectares de terres, et à de nombreux
troupeaux et serviteurs ; sa place est très élevée dans la hiérarchie du tuath , car il vient immédiatement au-dessous du roi.
Au Pays de Galles, un personnage est à peu près l’équivalent de cet Hospitalier , c’est le Penteulu ,
c’est-à-dire le « Chef de Famille » ( Teulu étant synonyme de tuath ), qui a exactement,
dans les Lois de Howell Dda [42] , le tiers de la valeur
du roi, et qui reçoit le tiers du butin de guerre.
Mais, la plupart du temps, ce n’est pas de la terre, ou tout
au moins l’autorisation de s’établir sur une portion du territoire, que reçoit
l’individu privilégié, ce sont des têtes de bétail. C’est là-dessus que repose
le système féodal celtique. Le preneur reçoit du bailleur une ou plusieurs
têtes de bétail et contracte ainsi des obligations envers le bailleur,
obligations qu’un contrat passé devant le druide (ou le prêtre, à l’époque
chrétienne) stipule avec précision [43] . Tous ceux qui
recevaient du bétail étaient donc, ipso facto ,
englobés dans la hiérarchie sociale, à des degrés divers selon l’importance de
chacun. Il y en avait de deux sortes, les serfs et les hommes libres. Les serfs
n’avaient rien de plus que ceux du continent à la même époque. Les hommes
libres allaient du roi au plus petit paysan. Serfs et hommes libres
constituaient, en cas de contrat de cheptel, ce qu’on appelle d’un terme
gaulois utilisé par César, des ambactoi , dont
le sens est « serviteurs », et que, pour plus de compréhension, il
est préférable d’appeler des vassaux , du mot gaulois vassos qui signifie lui aussi
« serviteur » (gallois gwas ,
serviteur ; breton gwaz , à l’origine
serviteur, actuellement « homme », au sens large, et
« valet »).
Ce contrat de cheptel, qui s’est maintenu très tard en
Irlande, et qui explique pourquoi les femmes, qui pouvaient posséder des
troupeaux, n’en étaient pas exclues et jouissaient donc d’une situation
différente des femmes des sociétés reposant sur l’entretien exclusif de la
terre, ce contrat de cheptel a disparu très tôt en Gaule, et on n’en trouve
aucune trace chez les écrivains de l’antiquité classique. Au Pays de Galles et
en Bretagne armoricaine, il semble s’être maintenu jusqu’au X e siècle, mais on a plutôt l’impression que,
dans les sociétés brittoniques, l’évolution a été très rapide vers le contrat
de terre, encore qu’il ne s’agisse que d’une possession très théorique du
territoire confié par le roi. En effet, la correspondance de certains mots
d’origine commune en brittonique et en gaélique nous donne une indication
précieuse : un mot irlandais qui signifie « bétail », le mot tlus , se retrouve dans le gallois tlysseu (au pluriel), mais il signifie
« bijoux » ; de même nous retrouvons l’irlandais alam , « troupeau », dans le gallois alaf , mais il veut dire « richesse ».
Ainsi, dans la société bretonne des environs du X e siècle,
la richesse, primitivement calculée sur le bétail, était surtout basée sur les
bijoux, et certaines constatations faites tant dans les lois que dans
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