La Femme Celte
place forte militaire :
tous les chars passaient par les routes qui
menaient à Carhaix. Cette constatation est d’une extrême importance, car nous
pouvons admettre, comme l’a affirmé Pol Quentel, que Carhaix est non pas un nom
d’origine celtique basé sur Ker , mais au
contraire d’origine latine. Ce serait Carri Accessus ,
c’est-à-dire « Accès du Char », ou « Chemin des Chars ».
Cette étymologie a un double avantage : elle est phonétiquement valable,
et d’autre part elle correspond à une réalité géographique. Et le deuxième
terme, Accessus , serait donc la première forme
d’ Ahès . Ainsi le nom de ce personnage
mystérieux ne serait pas autre chose que le nom du chemin, devenu
incompréhensible pour une population qui ne parlait plus le latin ni le roman
par suite de la brittonisation, et cristallisé en quelque sorte sous l’aspect
d’un personnage mythique. Cela n’empêche d’ailleurs nullement ce nom de recouvrir
une entité plus ancienne, qui peut très bien être la même divinité que Dahud.
Il existe un chant populaire recueilli au XIX e siècle par le collecteur Kerambrun et qui se
trouve dans la fameuse collection Penguern de la Bibliothèque nationale de
Paris, collection d’ailleurs en grande partie inédite et qui renferme des documents
fort précieux [63] . Ce chant concerne la Groac’h Ahès , c’est-à-dire « la vieille (ou la
sorcière) Ahès ». En voici quelques strophes caractéristiques [64] :
« Elle vient, la vieille Ahès en notre pays, – portons de grandes pierres
sur les routes, – portons de grandes pierres et des petites pierres – sur le
grand chemin au milieu de la lande. – Et le vieil homme disait, – assis sur le
Mené-Bré : – J’aime mieux la Disette et la Peste – que la vieille Ahès
près de nous, – j’aime mieux la guerre et la mort – que la vieille Ahès dans
notre patrie. – Voici la vieille Ahès au bout de la lande, – et elle ne vient
pas seule ! – avec elle sont les collecteurs d’impôts – pour mettre à nu
l’aire de votre maison… – Après elle, je ne vois plus, – je ne vois personne
sur la plaine (ou sur le champ), – je ne vois plus que les grands arbres – qui
croissent sur la terre nue… »
Quelle que soit la suspicion que nous ayons à propos de Kerambrun,
qui fut souvent un peu trop imaginatif quand il recueillait les chants
populaires, il n’y a pas de raison de douter de l’authenticité de celui-ci. Il
est parfaitement compréhensible et se réfère au XVIII e siècle,
époque où l’on construisit beaucoup de routes en Bretagne : c’est une
protestation contre les corvées et les impôts nouveaux que provoquait
l’établissement de ces routes. Mais ce qui est intéressant, c’est qu’on ait
pensé à ressortir le mythe d’Ahès, présentée comme une vieille femme dévoreuse,
une sorcière cruelle et sans pitié pour les pauvres gens, à propos des routes.
Or nous trouvons mention d’un personnage nommé Ohès ou Oès,
en rapport avec la voie romaine qui va de Condate (Rennes) à l’Aber Wrac’h ou à
la baie de Douarnenez, par Merdrignac et Carhaix, dans une curieuse chanson de
geste du XIII e siècle, La Chanson d’Aquin . Cette œuvre peu connue et qui suppose,
d’après certains noms, un modèle écrit en breton-armoricain, raconte une guerre
de Charlemagne en Armorique contre le « sarrazin » Aquin,
personnification du paganisme druidique. Charlemagne est aidé par un certain
nombre de chefs bretons dont Hoël de Carhaix qui lui raconte, à un certain moment,
la construction d’un « chemin ferré », c’est-à-dire d’une voie
romaine. C’est la femme d’un certain Oès « qui fut moult sage et de grande
beauté » qui décide de faire construire « un grand chemin ferré par
ou aller à Paris la cité, car le pays était de bois planté. À Quarehès
(Carhaix), sachez-le en vérité, fut le chemin commencé et fondé ». Il faut
noter que cette femme est la fille de Corsolt, « qui vécut bien plus de
trois cents ans ». Et Corsolt, héros « sarrazin » de la chanson
de geste du Couronnement de Louis , ou il se
fait tuer par Guillaume d’Orange, est un géant, éponyme de la tribu gauloise
des Curiosolites établie entre la Rance et la Rivière de Morlaix et dont la
capitale était Corseul, près de Dinan, le Fanum Martis de la Table de Peutinger.
Quant au pays boisé, ce n’est autre chose que cette immense forêt qui
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