La Femme Celte
recouvrait
tout le centre de la péninsule armoricaine et qui deviendra la fameuse
Brocéliande [65] .
Mais Oès est un homme. Il est même nommé « Oès le Vieil
Barbé ». Quel rapport peut-il avoir avec la troublante Ahès de la légende
d’Ys ? Sa femme, probablement, et par suite d’une confusion, c’est le nom
de l’homme qui est passé à la femme. On a d’ailleurs fait un rapprochement
entre les Chemins d’Ahès et les vieux chemins creux généralement remplis d’eau
si nombreux en Bretagne [66] et qui sont appelés,
surtout dans la zone francisante, les Noées ou
les Nouées . D’après toutes les variantes étudiées
dans les actes notariés et sur les cadastres, la substitution se serait faite
de la façon suivante, en remontant dans le temps : Noées, Chemin Noé, Chemin Oé, Chemin de la femme Oès,
Chemin de la femme à Ohés le vieil barbé . Et c’est alors qu’on pourrait
comparer le nom d’Ohès à celui d’Ésus ou de Teutatès, cela bien entendu avec
toutes les réserves d’usage sur une telle hypothèse [67] .
Mais quelque surprenante que puisse être cette déduction, elle apparaît assez
vraisemblable quand on remarque que, dans les alentours de Montpellier, les
voies romaines s’appellent « chemin de la Monnaie », du nom de Juno
Moneta, que dans les environs de Bordeaux, ces mêmes voies s’appellent « chemins
de Brunissen » (héroïne dont nous aurons à reparler), que dans le Poitou,
elles s’appellent, ce qui est un peu normal, « chemins de Mélusine »
(Malam Lucinam, c’est-à-dire Junon), enfin en Île-de-France et dans l’est,
« chemins ou chaussées Brunehaut » (confusion entre la romaine Junon
et la germanique Brunehilde). Les voies romaines semblent donc placées sous le
patronage d’une déesse, et pas de n’importe quelle déesse, puisqu’il s’agit de
Junon, l’épouse du père des dieux Jupiter, ou de tout autre équivalent de
Junon.
À ce compte, Ahès, si l’on suit cette hypothèse, serait une
des figurations de la déesse celtique épouse d’un grand dieu, qu’il soit
Teutatès, Ésus, qu’il soit Dagda, Mananann, ou encore Gwyddyon ou même Arthur.
Mais nous donnerons la préférence au dieu irlandais Cûroi mac Daeré, dont
l’épouse Blathnait est cause de l’engloutissement de la forteresse de son mari,
à la suite de sa trahison et de son amour pour le héros Cûchulainn [68] .
De toute façon, le personnage de Dahud-Ahès est un personnage
surnaturel, quasi divin. Nous avons dit qu’elle représente le paganisme face au
christianisme. Mais elle représente aussi la révolte contre l’autorité
masculine. En effet, Dahud-Ahès dérobe à son père la clef qui symbolise
l’autorité royale. Ce geste prend tout son sens si l’on songe qu’elle a mené
une vie dissolue, c’est-à-dire en contradictions avec les enseignements de
l’Église chrétienne représentée par saint Gwennolé, et qui est, lui, le symbole
de l’autorité masculine. Il en est de même pour la fille qui résiste au roi
ivrogne Seithynin, et qui, ce faisant, oublie de surveiller la fontaine [69] :
c’est en se révoltant contre l’autorité abusive du roi qu’elle provoque ce que,
jusqu’à plus ample informé, nous continuerons à appeler la catastrophe de
l’inondation. Quant à Libane, la fille du roi Ecca, elle aussi désobéit aux
ordres du roi. Sa révolte conduit à la submersion de la ville, mais comme
Dahud-Ahès, elle continue à vivre sous les eaux.
Cette survie sous-marine est du plus grand intérêt pour comprendre
le sens du mythe et tout ce qu’il recouvre en réalité. D’abord, dans un point
de vue strictement psychanalytique, il s’agit d’un refoulement de pensée. La
révolte contre l’autorité masculine ayant échoué, elle prend place dans
l’inconscient. Mais elle resurgira , et le
premier qui pourra profiter de cette surrection possédera le pays, c’est-à-dire
mènera la révolte jusqu’au succès. Cependant, il est très difficile de faire
surgir de l’inconscient des souvenirs si anciens : cela ne peut se faire
que dans certaines occasions, à certaines fêtes par exemple, ou la cité
engloutie se découvre et ou un audacieux pourra peut-être pénétrer jusqu’au
cœur de la citadelle. Et puis, étant donné que c’est refoulé, c’est interdit . C’est le domaine du Diable.
Car l’Enfer, au sens étymologique, c’est tout ce qui est en bas . Donc la ville d’Ys engloutie
est
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