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La Femme Celte

La Femme Celte

Titel: La Femme Celte Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Markale
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Mais au lieu de dénoncer la malice de la Femme et de donner la recette
pour échapper à l’engloutissement définitif, le mythe a été entièrement récupéré
par les clercs chrétiens, de la même façon qu’on ajoutait des croix aux menhirs
ou qu’on bâtissait des églises sur des sanctuaires païens [73] .
Et, chose admirable, en étant ainsi récupéré et christianisé, le mythe devient
très facile à comprendre, car saint Brendan part tout simplement à la recherche
du Paradis . La Terre des Femmes n’est pas
autre chose que le Paradis celtique.
    D’ailleurs il est facile de reconnaître là le même mythe que
celui de Circé ou de Calypso. Mais Ulysse, chez Circé, est d’une prudence qui
en dit long sur la misogynie des Grecs, ou plutôt sur leur méfiance des
divinités féminines. Lorsque Circé invite Ulysse à partager sa couche, celui-ci
lui répond : « Tu veux que je sois nu pour m’ôter la force et la
virilité ; mais moi, je ne saurais consentir à monter dans ton lit, si tu
n’acceptes, déesse, de t’engager par un grand serment à ne point me tendre un
nouveau piège. » De même, il ne consent à toucher à la nourriture et aux
breuvages préparés par Circé que lorsque celle-ci a rendu leur forme primitive
aux hommes qu’elle avait changés en animaux. Et lorsque Calypso, sur l’ordre de
Zeus, doit libérer Ulysse et lui fournir un bateau, Ulysse exige d’elle un
serment par lequel elle s’engagera à ne pas le tromper, s’attirant ainsi cette
réponse de la nymphe : « En vérité, tu n’es qu’un scélérat, mais tu
ne manques pas d’adresse ! » Le mot est assez joli dans la bouche
d’un être divin. Effectivement Ulysse est un scélérat, trompeur et rusé :
il est à l’image de l’homme des sociétés masculines méditerranéennes, expertes
en législations ambiguës, et qui ont inventé les honneurs à rendre aux femmes
pour mieux les écarter du pouvoir réel. Et pourtant, comme le dit Calypso à
Hermès, venu lui signifier l’ordre du dieu mâle Zeus : « Je l’aimais
et le nourrissais ; je me promettais de le rendre immortel et de le
préserver de la vieillesse pendant tous ses jours. » Ulysse est vraiment
l’homme du refus, type rationaliste et paternaliste, qui a peur de ce qui se
passe dans les basses régions de l’inconscient, qui a peur de la Femme, parce
qu’il sait que la Femme a le pouvoir, comme il le dit, de lui « ôter sa
force et sa virilité », de le faire retourner vers le monde de l’enfance
merveilleuse, vers un monde ou le temps est aboli.
    Le héros celtique est moins prudent. Il n’hésite pas, quitte
à demander ensuite son départ, ou à essayer de partir. Mais il n’a pas peur de
se voir « déviriliser » par la Femme. Même le héros celtique chrétien
n’a pas peur de cette aventure qui peut le conduire vers l’engloutissement :
au contraire, il la recherche. Et c’est déçu que reviendra saint Brendan vers
le monde des vivants, car selon la dure loi divine, il faut d’abord passer par
la Mort avant d’atteindre le véritable Paradis. On mesure ainsi la différence
de mentalité qui existe entre les Grecs, même ceux de l’époque archaïque, car
après tout l’Odyssée représente la primitive époque achéenne de l’Hellade, et
contient encore bien des références à un état antérieur où la Femme était plus
honorée et plus puissante, et les Celtes, installés au bout de l’Europe, et
héritiers de traditions remontant à la plus lointaine Préhistoire.
    Car il y a quelque chose d’inquiétant dans Calypso ou dans
Circé. La Reine de l’Île des Femmes n’est pas inquiétante. Dans la navigation
de Maelduin, c’est la Cavalière Divine, que nous retrouverons sous les traits
de Macha, en Irlande, de Rhiannon au Pays de Galles, d’Épona en Gaule et même
dans l’Empire romain. La première fois que Maelduin aperçoit la Reine, celle-ci
chevauche un coursier de race. On sait que le cheval a toujours été l’animal
qui peut aller dans l’autre monde. C’est lui qui tire le char du soleil dans la
nuit et qui le ramène au matin. Il est psychopompe. Les plus anciens objets
cultuels de l’âge du bronze sont des chars tirés par des chevaux. Le chevalier
du Moyen Âge a hérité un peu de ce mystère du cheval : il est mystérieux
lui-même, il est errant, il pénètre parfois dans les châteaux étranges qui sont
autant d’ouvertures sur l’Autre Monde. Et peu à peu, dans les

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