La Femme Celte
des paroles pour se donner bonne conscience, mais
c’est très significatif. « La femme sait que la morale masculine est, en
ce qui la concerne, une vaste mystification », dit encore Simone de
Beauvoir. « L’homme lui assène pompeusement son code de vertu et
d’honneur, mais en douce il l’invite à désobéir ; il escompte même cette
désobéissance ; sans elle, toute cette belle façade derrière laquelle il
s’abrite s’effondrerait. » La Prostituée est donc la Femme double, rejetée
et souhaitée à la fois. Dans le rêve, elle se pare des couleurs les plus
séduisantes, et c’est ce que dénoncent les sermons moralisateurs : cette
femme ne peut avoir que le goût de péché et ceux qui l’approcheraient, non
seulement seraient damnés éternellement, mais connaîtraient également le
malheur et les turpitudes en ce bas monde : ils s’engloutiraient lentement
dans une sorte de mort, ils s’anéantiraient, ils s’enliseraient.
Car ce ne sont pas les raisons morales qui priment cette interdiction,
ce rejet. La Prostituée, en se situant en marge des lois de la société, et même
si la société considère sa nécessité, représente un danger. On la tolère , mais on la condamne. Et c’est alors que
reviennent dans la mémoire des hommes toutes les hantises ancestrales
inconscientes qui font de la femme un être ambigu, mystérieux, dangereux,
anéantissant. Car l’Homme se souvient vaguement dans sa mémoire la plus
profonde, de l’époque où il n’était que fœtus indifférencié dans le ventre de
sa mère. Il porte en lui les stigmates que lui a laissés la naissance, cet arrachement
brutal de l’être à un milieu humide et chaud qui était celui de la
non-existence. Le souvenir est à la fois merveilleux, car c’était le temps du
bien-être absolu, du paradis, et aussi terrifiant, puisque c’était le néant . Et l’homme a peur de retourner au néant, tout
en étant attiré par ce néant.
Or toute femme est une mère en puissance, toute femme est
plus ou moins la projection de la Mère. Toute femme est à la fois Vie et Néant.
« Ainsi la Femme-Mère a un visage de ténèbres : elle est le chaos d’où
tout est issu et où tout doit un jour retourner ; elle est le Néant. Dans
la nuit se confondent les multiples aspects du monde que révèle le jour :
nuit de l’esprit enfermé dans la généralité et l’opacité de la matière, nuit du
sommeil et du rien. Au cœur de la mer, il fait nuit : la Femme est la Mare Tenebrarum redoutée des anciens
navigateurs ; il fait nuit dans les entrailles de la terre. Cette nuit, où
l’homme est menacé de s’engloutir, et qui est l’envers de la fécondité,
l’épouvante » (Simone de Beauvoir, le Deuxième
Sexe , II, 199). Il est donc normal que ceux qui vont explorer lucidement la maison de la stoubinenn , simplement pour savoir et non pas pour
profiter des faveurs de celle-ci, descendent jusqu’au fond de la mer et là, ne
trouvent rien. C’est vraiment le néant des choses, la négation de tout. Mais
comme tout ne peut exister que par sa
négation, nous sommes intégrés dans le cycle universel : il est
indispensable qu’il y ait une stoubinenn qui
attire les hommes au fond de la mer, sinon il n’y aurait pas de surface de la
terre, il n’y aurait pas de lumière, il n’y aurait pas de vie.
Cette attitude humaine, telle qu’elle transparaît dans les
textes traditionnels, qu’ils soient écrits depuis des siècles, qu’ils soient
chantés par le peuple, cette attitude ambivalente à l’égard de la femme est
cause de la richesse des légendes concernant les sirènes, les fées, les
enchanteresses. Étant donné que la Femme est tout et rien, elle est la maîtresse
absolue des richesses, mais ces richesses sont cachées, sont difficiles à
atteindre, sont dangereuses : elles brûlent les doigts. Toutes les
traditions se rejoignent pour parler des richesses qui se trouvent au fond de
la mer. D’après la Théogonie d’Hésiode, les
Néréides habitent des cavernes, sous la mer, près du palais d’or de Triton. Une
légende scandinave rapporte qu’un couple divin possède le fond de l’océan. La
femme, Rân, prépare sur le sable du fond des coussins azurés pour recevoir les
naufragés. Au Grœnland, la fille du Tangarsuk demeure sous la mer et gouverne
tous les animaux marins. Le vase qui est au-dessous de sa lampe dans laquelle
il y a de l’huile de baleine qui déborde, est rempli d’oiseaux
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