La Femme Celte
Luzel, Contes ,
I, 258-288).
Dans ces trois légendes, le héros est obligé d’accomplir ce voyage vers la Femme, il n’y
va pas de son plein gré, et sa réussite est incompréhensible dans un contexte
paternaliste. L’histoire d’Art a des rapports avec le concept féminin de souveraineté, mais il semble bien que
dans les deux contes armoricains, il y ait la même préoccupation. Art tue les
parents de Delbchaen, la Princesse du Palais Enchanté tue le roi pour épouser Efflam.
C’est par hasard que Luduenn découvre la princesse Marcassa, car il n’était à
la recherche que de l’oiseau qui guérit : il est significatif que la
conteuse précise qu’il a succombé au charme de la princesse à cause du vin
qu’il avait bu. Mais Art et Efflam étaient partis à la recherche de la Femme
Engloutie. Dans les trois cas, les obstacles à franchir sont terrifiants, surnaturels :
il faut être un valeureux guerrier comme Art, ou des innocents comme Luduenn ou Efflam, pour pouvoir aller au-delà de la terreur, au-delà de
la répulsion.
Car les monstres qui veillent sur la Femme Engloutie et empêchent
les curieux de s’approcher sont aussi bien les matérialisations des interdits
sociaux que celles des fantasmes engendrés par la psychologie masculine. Les
interdits sociaux sont d’abord très simples. Au premier chef, nous trouvons le
tabou jeté sur l’inceste. Freud a montré l’importance de ce tabou dans toutes
les sociétés dites primitives : il met en lumière que ce n’est pas le
tabou sur l’inceste qui est inné, qui est un instinct, mais au contraire
l’inceste lui-même. Mais comme Freud pensait que les sociétés les plus
anciennes étaient déjà masculines, sur le modèle de la horde dirigée par le
Père, c’est-à-dire le plus fort, et qu’il explique la réalisation de l’inceste
par la révolte des fils, ligués avec la mère contre le Père, il est obligé de
recourir au complexe d’Œdipe pour expliquer l’instinct incestueux de l’homme.
Il est évident que le complexe d’Œdipe n’est pas niable, même s’il a trop servi
à tout expliquer, mais Freud n’a jamais admis la possibilité de sociétés de
type matriarcal antérieures aux sociétés patriarcales. En fait, Freud, inhibé
lui-même par un incident de son enfance, n’a jamais voulu pousser très loin ses
investigations concernant la Femme qu’il s’est contenté d’étudier
superficiellement, selon le point de vue masculin, d’ailleurs, et tombant bien
souvent sous les contraintes sociales de son éducation et de la mentalité
juive, il faut bien le dire, sans arrière-pensée. Si l’on admet, par contre,
l’existence possible de sociétés de type matriarcal antérieures aux sociétés de
type patriarcal, comme de nombreux indices sur lesquels nous reviendrons plus
tard nous le laissent entrevoir, l’origine de la répression de l’inceste
s’impose d’elle-même : il faut séparer les homme des femmes pour éviter
aux hommes de tomber sous la coupe de celles-ci, et par conséquent éviter tout
rapprochement entre frères et sœurs, entre fils et mères. Quant à l’inceste, ou
plutôt à l’instinct incestueux, il découle de la promiscuité dans laquelle
vivaient les membres de la communauté, promiscuité qui permettait peut-être les
rapports sexuels libres, et par conséquent entre personnes de la même famille,
de la même communauté de sang.
On sait que l’inceste, interdit par les lois dans toutes les
sociétés dites organisées, est cependant toléré dans ces mêmes sociétés dans
des cas bien particuliers et toujours réservé à des individus exceptionnels. La
mythologie grecque se fait l’écho de ces transgressions du tabou : Héra
est sœur et épouse de Zeus. Il en est de même chez les Égyptiens : en
dehors du fait que la déesse Isis était sœur et épouse d’Osiris, les plus
anciens pharaons devaient épouser leurs propres sœurs. Et si l’on prend la Genèse à la lettre, étant donné qu’Ève n’a donné
naissance qu’à des garçons, on est en droit de supposer que l’humanité provient
des rapports incestueux d’Ève et de ses fils. La mythologie celtique comporte,
elle aussi, des allusions à des incestes : Mordred le révolté contre le
roi Arthur est le fils incestueux d’Arthur et de sa sœur ; Cûchulainn est
sans aucun doute le fils de Conchobar et de sa sœur Dechtire ; Cormac
Conloinges, successeur discuté de Conchobar, est le fils de
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